Arkan - Interview du 16/06/2011
Membre(s) interviewé(s) : Florent (guitare & chant)
A la réception de Salam – que j’attendais avec impatience, Hilal m’ayant laissé une grosse impression – j’ai immédiatement eu l’impression qu'Arkan avait appuyé sur le frein, pris ses distances avec le death joufflu d'autrefois, pour s’adonner à présent sans retenue à un metal très proche de l’univers développé par Orphaned Land. La tournée avec la bande à Kobi semble ne pas avoir laissé des traces que sur « Deus Vult » … Est-ce conscient et assumé ? Ou bien trouvez-vous cette impression exagérée, voire caricaturale ?
Salam est le reflet de l'évolution artistique du groupe amorcée par Burning Flesh puis par Hilal. Cet album est donc plus mélodique et une place plus importante a été accordée aux ambiances et harmonies orientales. Arkan n'a jamais voulu faire deux albums/EP identiques. Les compositions de nos réalisations sont différentes mais suivent le même fil conducteur.
Comme Orphaned Land, la musique orientale avec laquelle nous avons grandi est la source principale de notre inspiration. Il y a peu de groupes qui mélangent ces deux styles de musique qui peuvent paraître antinomique et Orphaned Land est considéré comme un pionnier du genre. Le côté oriental de notre musique étant mis en avant, il est normal que certaines personnes fasse un parallèle avec Orphaned Land.
Cependant, nous sommes plus inspiré par le Metal moderne européen pour les parties électriques et la musique de l'Afrique du Nord et de l'Andalousie pour les parties acoustiques. Quoi qu'il en soit, la comparaison avec Orphand Land nous honore par le respect que nous inspire leur carrière.
Si j’ai bien compris, sur Salam, l'objectif est d'aller plus loin que le simple ajout de touches orientales intégrées à du metal : vous voulez fondre les 2 aspects en une musique métis. Penses-tu qu’il soit inévitable qu’un mélange aussi intime des musiques orientales et du metal conduise à un adoucissement général de la musique ?
Le mélange musique orientale / Metal présent dans Salam est issue d'un processus de composition différent de celui que l'on avait adopté sur Hilal.
Lorsque nous avons composé Hilal, nous avons commencé par composer les parties « Metal » puis nous y avons introduit des éléments orientaux. L'apparition des parties orientales était bien souvent séparée des parties Metal.
Concernant Salam, nous avons adopté le processus de composition inverse. Nous avons commencé par composer les parties orientales comme ligne directrice des morceaux puis nous nous sommes servis de cette base mélodique pour créer différentes atmosphères plus metalliques. Nous voulions vraiment créer une alchimie mystérieuse sans que l'auditeur se pose la question de savoir si telle ou telle partie est plus Metal qu'orientale ou vice et versa. Les parties aggressives communiquent avec les parties mélodiques et le Metal ne devient plus une fin en soi mais un outil de communication. En cela, Salam est un album plus aéré et paraît moins massif que son aîné.
Si l’on compare les photos du groupe figurant dans le livret de Hilal à celles utilisées pour la promo de Salam, on remarque qu'il y a eu du mouvement : Abder a disparu, et Sarah – qui était jusque là mentionnée uniquement comme « contributrice » – est à présent mise tout particulièrement en avant. Peut-on savoir : 1) si le remplacement d’Abder par toi (puisque tu as maintenant pris en main la? guitare rythmique) a influé sur le fait de laisser plus d’espace à Sarah, ou bien cet aspect était-il par ailleurs déjà prévu ? Est-ce que l’absence d’Abder ne va pas poser des problèmes en live, notamment maintenant que vous utilisez une quantité encore plus importante d’instruments traditionnels parallèlement aux guitares ?? 2) si vous voyez Arkan comme un groupe de death mélodique avec adjonction de chant féminin, ou comme un groupe « Beauty & the Beast » metal, à la Theatre of? Tragedy / Tristania ? Ou peut-être simplement comme un groupe de « musique » – ce que les morceaux acoustico-instrumentaux et le côté plus pop d'un « Call From Within » pourraient laisser penser …
Le départ d’Abder du groupe a suscité pas mal de changements techniques en ce qui concerne notamment la reproduction des parties guitares sur scène. Mais cela n’a jamais compromis ou remis en question le futur d’Arkan. Etant moi-même guitariste, j'ai repris l'intégralité des lignes de guitare autrefois jouées par Abder.
Concernant Sarah, elle intervenait déjà sur Hilal sur des parties plutôt atmosphériques mais avec le départ d’Abder lors de la phase finale de l’enregistrement de Salam, les choses se sont accélérées. Sarah a dû remplacer au pied levé toutes les parties déjà enregistrées et elle l’a fait avec talent. De par son inspiration et sa maîtrise technique, Sarah s’est naturellement fondue dans la composition de ce dernier opus. Nous voulions d’une part réitérer l’aventure humaine du premier album mais surtout la développer pour faire du chant féminin un élément aussi central que le oud, la guitare ou la batterie. Les parties de chant d’Abder étaient d’un niveau technique et émotionnel à couper le souffle mais celles de Sarah les surpassent incroyablement. Sarah a su donc relever ce défi en y ajoutant l’émotion que lui inspirent ses origines.
Cependant, Arkan ne se définit pas comme étant un groupe « à chanteuse », ma seule présence et la nature et la puissance de mon chant ôtent tout soupçon. Nous sommes tout simplement un groupe de Metal qui s’inspire des origines de ses membres.
Sur Salam, je retrouve les sensations que procuraient ces albums qu'on qualifiait auparavant de « death atmosphérique », comme les premiers Septic Flesh, Godgory, Nightfall (et Orphaned Land d'ailleurs!) … Le groupe se retrouve-t-il dans ces références ??
Tout a fait, Salam est de par sa composition un album très atmosphérique et aéré, les parties Metal s’entremêlant régulièrement avec les parties acoustiques. Arkan n'a jamais voulu rentrer dans une surenchère à la violence et à l'extrême. Au delà de cet aspect, nous n'avons pas non plus vocation à nous conformer à un type particulier de Metal. Néanmoins, les groupes que tu viens de citer sont des précurseurs à nos yeux et la comparaison avec eux ne peut être que flatteuse.
Pendant la longue attente qui sépare les morceaux situés au début et en fin de «Amaloun Jadid II », on peut entendre un chant de muezzin se mêler brièvement à des mélopées semblant échapper d'un monastère. Est-ce un autre trait d’union entre les cultures qu'il vous tenait à cœur de réaliser au sein de Salam ? Pourquoi ne pas avoir développé cet aspect riche en possibilités au sein d’un vrai morceau ?
L’album tout entier reflète ce trait d’union entre les différentes cultures issues des religions monothéistes, qui se sont, tout au long de l'histoire, tantôt déchirées tantôt résolues à cohabiter.
Le morceau qui reflète le plus ce mélange des cultures est « Deus Vult ». Ce titre signifiant «Dieu le veut » en Latin était une expression scandée par les croisés lors de la prise de Jérusalem. En arabe cette expression est usuelle et est également forte de sens : « Incha Allah». L’intervention de Kobi, tant en hébreux qu’en arabe sur un titre aussi symbolique est forte de sens. Il s’est approprié l’esprit de l’album au point qu’à lui seul ce titre est la matérialisation de la notion de paix chère à notre cœur.
De manière plus générale, l'échange philosophique et culturel ont d'évidents effets positifs sur chacun d'entre nous puisqu'il permet d'être plus ouvert sur le monde. Nous essayons donc humblement de créer un pont entre des peuples d'univers musical et culturel différents.
Sur « Beyond Sacred Rules », on peut entendre le bruit d’un crayon courir sur le papier. Ce bruit très organique trouve particulièrement bien sa place sur le morceau, comme pourraient le faire un feu crépitant ou une pluie battante. Comment vous est venue cette idée ? Quel est le sens de ce passage sur le morceau ?
"Beyond Sacred Rules" explique le détournement de la guerre pour des motifs économiques. De tout temps, l'envie et la cupidité est derrière toute justification à la guerre. Les croisades ont mené des peuples au chaos pour des motifs qui n'était pas toujours religieux et avouables. Celles-ci ont en effet vu l'essor de cités marchandes qui ont profité de ces conflits et ont même tout fait pour que la guerre perdure.
Le crayon est utilisé sur ce titre pendant un long passage acoustique à la manière d’un scribe relatant des faits de son temps pour que les futures générations ne retombent pas dans les mêmes erreurs. Malheureusement la nature humaine fait que l’on ne retient jamais les erreurs du passé. On pense naturellement à ce qui se passe en Irak et en Afghanistan.
La 2e moitié de l’album comporte pas moins de 4 interludes acoustiques (si l’on compte en plus le « début » de la 13e piste), un entre chaque morceau « classique ». Quelle est la raison de cette concentration toute particulière qui cible spécifiquement la « face B » de l'album ?
Au début du processus de composition de Salam, nous avions eu en tête l'idée de faire deux albums : un Metal et un acoustique. Progressivement, il nous a semblé plus intéressant de mixer tout ça au sein d'un même album. Ceci explique donc que la première partie de l’album soit plus punchy et se rapproche plus de l’univers que nous avions créé dans Hilal. Le choix des titres et l’organisation des morceaux ont été réfléchis afin que l’auditeur passe d’un univers Metal vers un autre plus calme et posé de manière naturelle. La trame actuelle et l’ordre des titres nous ont paru tout à fait cohérents.
Comment s’est montée la tournée avec Orphaned Land ? Qui a eu l’idée de mettre en place une affiche aussi œcuménique ?
Lorsque notre premier album a vu le jour, nous avons été mis en contact par le biais de leur fan club qui voyait en Arkan un relais du message véhiculé à l’époque par Orphaned Land. Nous nous sommes contactés et très vite le souhait de tourner ensemble s’est concrétisé.
Orphaned Land est un groupe extraordinaire, tant sur le plan musical qu’humain. Etant d’horizons complètements différents, nous avons passé du temps à discuter pour mieux nous connaître, et en apprendre un peu plus sur nos cultures respectives pour très vite se rendre compte que nous ne sommes pas si différents que ça. Une réelle complicité humaine s'est créée entre nous. Notre tournée avec Orphaned Land a renforcé notre conviction que la paix entre des peuples d'horizons complètement différents n'est pas une utopie.
Créer une tournée durant laquelle un groupe israélien et un groupe français dont les membres sont originaires d'Afrique du Nord partagent chaque jour une nouvelle scène montre que la musique peut outrepasser certaines tensions géopolitiques et mène à une plus forte solidarité entre les peuples par la dialogue et le partage. Nous restons convaincus que malgré nos différences, nous pouvons harmonieusement vivre ensemble sur cette terre sans vouloir se faire la guerre pour le moindre prétexte.
Ce message de paix, cette collaboration avec le « frère ennemi » israélien : cela vous a-t-il parfois conduit à être confrontés aux réactions d’ « extrémistes » qui vous reprochaient une telle démarche ?
Jusqu'à présent, nous n’avons pas été confrontés à une telle situation. De toute façon, même si cela arrivait nous ferions abstraction de tout ça afin de ne pas accorder trop de crédit à ces «extrémistes ». Nous sommes persuadés que la paix entre les peuples ne peut être qu’une démarche louable. Une tournée comme celle que nous avons réalisée avec Orphaned Land et Suidakra et qui avait pour nom « Tour Against Racism » est une démarche qui à ma connaissance n'a pas fait l'objet de critiques négatives.
Il existe des extrémistes dans tous les milieux et malheureusement il en existera toujours. Cependant, c'est à nous de dépasser ce genre de propos et de faire avancer les choses. Nous sommes régulièrement contactés par des personnes qui nous écrivent de partout dans le monde qui aiment notre musique et qui sont d’horizons complètements différents. Pour nous c’est ça l’essentiel !
Lors de la date parisienne de cette tournée, vous avez interprété « Didi », le célèbre titre de Khaled. Etait-ce un clin d’œil thématique collant parfaitement à la soirée (l’alliance fructueuse entre un compositeur d’origine juive – Jean-Jacques Goldman – et un interprète arabe) ou simplement un morceau que vous aviez l’habitude d'intégrer à votre setlist depuis longtemps ?
Nous voulions depuis longtemps reprendre un classique de la pop oriental et le choix de "Didi" de Khaled s’est imposé pour la simple et bonne raison que c’est un titre extrêmement connu partout dans le monde. Reprendre un titre d’un chanteur de raï algérien et en faire une version Metal était challenge que nous voulions relever. Ce morceau permet également d'aérer un set Metal en proposant une expérience musicale atypique. Et puis je ne te cache pas que voir des métalleux bouger sur du raï, c'est quand même quelque chose à vivre !
Comment se sont déroulées vos dates de l’autre côté de la Méditerranée ?
Jouer au Maghreb est très symbolique pour nous car nous venons directement ou indirectement de ces pays qui ont une place particulière dans nos cœurs. Il y a un temps où les jeunes qui jouaient du Metal là-bas croupissaient en prison. Heureusement, les choses changent progressivement...
Nous avons déjà joué au Maghreb dans le cadre du festival 2JR en Tunisie et ce fut un moment unique. La réaction du public fut incroyable. Une énergie, une tolérance et un plaisir immédiat et communicatif. Je pense pouvoir te dire au nom du groupe que cette date restera la date la plus forte émotionnellement pour la plupart d’entre nous. Le Metal, malgré son existence récente dans ces pays, devient de plus en plus populaire. Des instruments de qualité professionnelle sont de plus en plus disponibles à la vente et, bien qu'ils soient encore très chers, certains groupes arrivent à se former et à émerger. La musique interprétée en live joue un rôle de premier plan dans la vie des nouvelles générations et donnent parfois naissance à l'organisation d'événements Metal. En Tunisie et au Maroc, de grands festivals sont organisés annuellement.
Nous espérons un jour prendre part à une tournée qui parcourra tous les pays du Maghreb. C'est un rêve spécialement pour Mus et Samir qui ont contribué à l'émergence de la scène Metal algérienne quand ils vivaient là-bas.
L’actualité est particulièrement brûlante au sein des pays arabes cette année. Quel est votre point de vue sur ces évènements. Pour vous est-ce que ce serait une bonne chose que le mouvement s’étende dans les mêmes proportions au Maroc ou en Algérie ?
Les différents soulèvements qui ont lieu dans les pays arabes montrent clairement une chose : les peuples ont vocation à contrôler leur futur.
Les peuples arabes ont été oppressés par leurs tyrans autoritaires et corrompus depuis trop longtemps. Il y a là-bas également un vrai problème de répartition des richesses comme en témoignent les fortunes amassées pendant plusieurs décennies par Mubarak, Ben Ali, Kadhafi alors même que leur peuple vivait dans la pauvreté. N'oublions pas que beaucoup de pays d'Afrique du Nord comme l'Algérie ou la Lybie sont riches en ressources naturelles (pétrole et gaz naturel). Ces trésors enfouis dans le sol devrait profiter aux populations locales afin qu'elles connaissent un véritable développement économique et social.
Nous souhaitons évidemment bonne chance à tous les peuples du monde qui aspirent à leur liberté. ?
Conclusion classique – mais quoi de mieux qu'un peu de champs libre pour faire passer messages et actualité de dernière minute : tu as carte blanche pour faire de cette dernière « question » votre tribune!
Merci de nous avoir accordé un peu de votre temps. Merci pour cette interview, pour plus de détails sur nos prochaines dates et tournées, rendez-vous sur notre site officiel www.arkan.fr, notre page MySpace et notre page Facebook. Salutations à tous vos lecteurs et à très bientôt.
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