49 Morphines - Partial Eclipse

Dans la grande famille des albums passés complètement sous les radars, je vous présente Partial Eclipse par 49 Morphines. Sorti il y presque une quinzaine d'années, il n'a jamais atteint le public qu'il mérite, et propose pourtant un screamo agrémenté de post-rock de grande qualité.

Au long des presque 58 minutes que dure cette éclipse partielle, la musique proposée par le combo sud-coréen fera régulièrement penser à ce que pouvait faire Envy, notamment au début des années 2000. Au-delà de la relative proximité géographique, le type de chant hurlé, les mélodies de guitare assez claires et mises en avant par dessus une batterie roulante et des rythmes frénétiques (« Running on Empty », « God's Betrayal », « Broken Fist », « And This One »...) renvoient effectivement souvent à ce que le groupe japonais a su proposer de mieux à cette époque.

Et pourtant, on est ici très loin d'être une pâle copie, même qualitative, car 49 Morphines a plus d'un tour dans son sac et beaucoup de choses à proposer, avec plusieurs visages.

En effet, sur Partial Eclipse, si dans l'ensemble les parties les plus rentre-dedans peuvent sonner un peu comme si les précités Envy se mettait à jouer à la Ampere, ou que ces derniers reprenaient l'excellent « Left Hand » du groupe japonais pour bricoler à leur sauce autour, un certain nombre de parties ou de morceaux plus planants auraient plutôt tendance à être couverts d'une fine couche de post-rock assez sombre, truffé de petits détails et arrangements, tel que l'introduction aux nappes de son qui mènerait ses constructions vers un futur distordu, avant de basculer vers le vif du sujet, le corps de l'album. Un peu à la manière qu'avaient Red Sparowes d'installer leurs ambiances.

A noter la relative longueur des morceaux, dont plusieurs dépassent les 5 minutes et l'un vient même chatouiller la barre des 11. Ce format permet à 49 Morphines de développer beaucoup d'idées, de combiner de nombreux mouvements, pour un résultat très travaillé et un disque incroyablement méconnu, à ranger aux côtés des classiques du genre.

Les Sud-coréens mènent ici bien la barque de la dynamique entre les pistes plus directes pour commencer, avant d'arriver sur les fausses jumelles « Few Days Ago » et « Few Days Later », la première offrant une accalmie instrumentale plus post-rock avec batterie et réverb, mais avec une tension encore palpable, tandis que la seconde vient s'abattre de l'autre côté du monde et du spectre musical, plus directement hardcore, à la limite du powerviolence au départ, avant de s'assagir légèrement, un peu comme si les vieux Orchid avaient eu droit à une production moins étouffée, entre roulements de caisse claire et larsens.

Ce qui est intéressant, c'est que le groupe sait se renouveler morceau après morceau, intégrant de nouvelles choses, quelques spoken words bien sentis (« God's Betrayal », « And This One »), des progressions bien réalisées qui font que plusieurs pistes auraient pu prétendre à la clôture de l'album (« Broken Fist »), des agressions plus hardcore avec même un petit simili breakdown à la rythmique martiale qui vient faire coucou au milieu de sonorités aériennes (« The Final Note »), des morceaux plus lents et lourds avec des passages à la voix éraillée que ne renieraient pas forcément Amenra...

Le côté plus « post » et progressif de Partial Eclipse s'exprime plus notoirement sur les trois pistes finales, qui occupent plus d'un gros tiers de l'album en termes de temps. « Heart of Despair » vient s'envole vers un post-rock tendu et une explosion encore une fois envyesque à mi morceau, alors qu'apparaissent de très discrètes voix claires (les seules du disque) qui collent bien à l'atmosphère aérienne et aux nombreuses émotions qui traversent ce morceau.

Mais c'est sur « The Moonlight Dance », le morceau le plus long, avec samples entremêlés, notes de xylophones, arrangements au violon et un côté post-rock/ambient qui rappellent furieusement Godspeed You! Black Emperor (en bien fait) que 49 Morphines explore, décolle, s'évade en un morceau monumental et stellaire, ou plutôt lunaire, bourré de petits détails, avant de revenir à la brutale réalité sur « Edge of Chaos ». Heurter le sol fait alors bien mal à la mâchoire après les minutes contemplatives précédentes. Un arpège surprenant vient installer le doute, le suspense sur la suite. Ce serait presque une scène de film dans ces ralentissements, avec beaucoup de choses qui se passent dans les contours, dans la périphérie de la scène. Avant que, comme on s'en doutait, le monstre ne surgisse pour une ultime cavalcade syncopée.

Les dernières paroles du disque, si elles étaient scandées en français, sembleraient être « t'es calmé, t'es calmé ! ». Si ce n'est évidemment pas ce que le chanteur nous balance à la gueule, le résultat est pourtant bien là : pas grand chose à jeter sur ce Partial Eclipse. Si l'on veut faire la fine bouche, quelques parties plus aériennes peuvent paraître un peu longuettes lorsqu'elles sont mises en contraste avec les passages plus directs. Mais dans l'ensemble, il n'y a pas photo : ce disque est excellent, plein de subtilités, passe sans problème l'épreuve de l'âge et chaque écoute fait redécouvrir quelques petites choses qui nous avaient échappé.

Pingouins

le 08/08/2021