Agoraphobic Nosebleed - Altered States Of America

Chronique CD album (21:42)

chronique Agoraphobic Nosebleed - Altered States Of America

Ma propre manière de consommer des produits culturels peut parfois atteindre des sommets abêtissants de connerie. Ça vous est déjà arrivé, à vous, de porter aux nues un album en qualité de pinacle de vos goûts musicaux… puis de ne plus jamais l’écouter derrière ? Au vu de la quantité purement inimaginable d’œuvres musicales produites tout au long de l’histoire entière de l’humanité je ne me rassure qu’à moitié en supposant ne pas être le seul sur ce coup-là. Du côté des albums abhorrés du plus profond de nos êtres une telle attitude se comprend plus aisément ; dans le paradigme inverse, il y aurait de quoi douter de la fiabilité des mécanismes de son propre cortex cérébro-spinal…

 

Imagine huit ans d’intervalle écoulés depuis l’extase intrinsèque à l’écoute de ce skeud instantanément hissé au rang de ton panthéon sonore – j'estime tout de même ne pas trop mal m'en sortir jusqu'à ce que le même genre de réflexe ne revienne d'ici une vingtaine d'années –, avant que ne te prenne au détour d’une gorgée de bière à 11° abandonnée sur la cheminée la veille d'une soirée grind l’inexplicable envie d’y jeter une oreille nouvelle, réactualisée par la pelletée de découvertes réalisées entretemps… Deux réactions peuvent alors s’envisager (plus oui j’avoue mais cette intro s’éternise déjà bien assez comme ça). « Qu’est-ce que le what de fuck était-ce donc que ce ragoût sonore j’devais bien être le dernier des agités du ciboulot pour avoir pu piffrer une aberration pareille » d’une part. « Wattah mais la con de toi c’est quoi ce putain de caviar auditif quel genre d’immonde inculte fini à la pisse de tortue rhumatismale j’ai bien pu être pour avoir tant pu minimiser un bijou d’cette envergure » de l’autre.

 

Vous avez d’ores et déjà vu la note attribuée à Altered States of America, inutile donc je pense de vous faire jouer à deviner de quel côté je me situe à son sujet. Sa troisième, sa sixième et même sa onzième écoute (dans la même journée), non contentes de me retransporter dans des abysses sans fond d'exaltation mystique, se sont payé le luxe de me replonger aux origines de mes affinités avec ce fameux metal extrêmental que je vais finir par vous faire adorer détester. Agression sonore permanente, rythmique inhumaine, samples bruitistes cacophonique, radicalité des lyrics, inhibition des imperfections de mastering dans leur raccord chirurgical avec l’alchimie globale : absolument tout y est.

 

Altered States of America touche structurellement parlant aux fondamentaux les plus parodiques du grind, chargé de sa centaine de tracks – à cet égard, vous voudrez bien m’excuser ce coup-ci de zapper l’étape habituelle où je charcute les parenthèses et guillemets de mon clavier pour les citer – rassemblées en à peine plus de vingt minutes de boucherie auditive. Pour une durée moyenne de 13 secondes par morceau, le tempo file évidemment à Mach 46 à grands renforts de blast beats d’une à quatre secondes, bien aidés par la boîte à rythme employée en lieu et place de la batterie. Chaque micro-pièce constituant le skeud s’encaisse comme autant de petits cailloux jetés à la gueule par ce tortionnaire de grand-frère qui te ligotait au parasol sur la plage pendant que papa s'emmouscaillait belle-maman là-bas derrière la dune. Un petit calcul bullshit résulte sans grandes difficultés en un bon gros parpaing bien dense si on prend la peine de les additionner.

 

Grand paradoxe entourant le schmilblick : sa MAO a beau infiniment plus retenir l’attention, le mixage d’ASoA n’en demeure pas moins globalement centré sur le jeu de guitare proprement stratosphérique de Scott Hull. Déjà car il parvient à suivre scrupuleusement la cadence satanique de la boîte à rythme – dont il assure lui-même les réglages, j’imagine que ça aide un peu –, mais également de par les intonations cybernétiques fulminantes qu’impriment ses distorsions. Ne fût-il pas mentionné dans les crédits de l’album, on jurerait celui-ci entièrement composé par IA avec une vingtaine d’années d’avance ; tu m'étonnes que Skynet ait fini par se la jouer discret…

 

Un mur de tessiture monolithique érigé par la basse de John Jarvis file ASoA de manière à combler le plus possible de microsecondes de silence – sauf celles oubliées entre la plupart des morceaux, sans que, bizarrement, ça ne semble réellement être un problème. Entourés d’une bouillie vocale polyphonique particulièrement entêtante – parlée, hurlée, samplée, régurgitée, uzifiée par deux chanteurs à la fois ; y en a pour tous les goûts ! – et de sa flaccidité bruitiste, les neuf cent trouze milliards de BPM gracieusement déversés à la bétonneuse nucléaire par Agoraphobic Nosebleed font moins office de prétexte au headbanging rythmé d’école qu’au malaxage de caboche en boule de haine proéminente. Dans le peu de l’album parvenant à se montrer un tantinet intelligible – tracklist compris et pour la dernière fois y a cent titres qui la composent, suivez un peu bande de ramollis – se discerne en effet une animosité profonde et viscérale envers autant de problématiques gangréneuses et systémiques que drogue, endoctrinement, terrorisme, perversité, conspirationnisme…

 

Sous ses airs d’empilement indistinct de bruit(isme) et de fureur baignés dans le formol dont on imprègne les cadavres, une véritable construction, même si (parfois [souvent {... tout le temps}]) difficilement distinguable, structure ASoA. Par le schéma des morceaux (« The First » to « The Twelfth Day of Sodom ») ou par leur musicalité (titres puis micro-histoires slammés tout en guttural sur fond de nappe bruitiste des tracks 21 à 35) comme simplement leur durée (35 et 55 secondes sur les 73 et 76, en ouverture de nouveaux mouvements respectifs), son balisage représente un véritable jeu du désamour et du hasard n’appartenant parfois qu’au bon vouloir de l’auditeur.

 

Auquel s’est greffé, en 2018, un ultime addendum dans le deuxième CD d’une réédition consistant en remixes power electronics de Delta 9 inspirés du meilleur split-album de l’histoire de la musique (Rectal Anarchy, né de la collab entre Merzbow et Gore Beyond Necropsy, pour les intimes). Assez dispensable en tant qu’addition à ASoA malgré son ([{_\indéniable/_}]) qualité et pour laquelle je ferai abstraction dans ce que la note un peu plus haut se veut englober mais néanmoins révélatrice du statut monolithique que peut revêtir le troisième album d’Agoraphobic Nosebleed comme pierre angulaire d’un grind ultra expérimental. Death (et encore) vis-à-vis de sa rapidité et sa radicalité, gore dans son aspect dégoulinant, bardé d'un mixage cyber, thématiquement porn et hategrind, résolument noisecore par rapport au chaos bruitiste l'animant et matraqué en un tempo blipcore au dernier degré, on lui devrait limite tout dans le genre s’il n’était pas arrivé si tardivement parmi ses classiques.

photo de Aldorus Berthier
le 16/02/2025

6 COMMENTAIRES

cglaume

cglaume le 16/02/2025 à 09:09:57

Incontournable pour les baptêmes et les premières communions !

Pingouins

Pingouins le 16/02/2025 à 09:26:01

J'ai une préférence de coeur pour Agorapocalypse mais un petit Agoraphobic Nosebleed des familles, j'avoue, c'est toujours un petit bonheur.
Parfait pour un dimanche.

Aldorus Berthier

Aldorus Berthier le 17/02/2025 à 21:47:33

@Ping' : J'avoue avoir longtemps eu ma préférence pour Agorapocalypse aussi, et forcément après avoir redécouvert ASoA je l'ai réécouté et a plusieurs égards notamment en termes de mastering il est indéniablement meilleur. Mais bon à force vous commencez à me connaître ; plus c'est raw et expérimental et plus ça part dans tous les sens, plus j'aime ; et à ma propre échelle Agorapocalypse est beaucoup trop sage par rapport à ASoA et s'est trop uniformisé pour que je continue à lui accorder ma préférence ; cela dit, depuis que j'ai écrit cette chro (fin novembre, elle en aura mis du temps !), jme le suis aussi repassé un nombre incalculable de fois et qu'est-ce qu'il fait du bien ; jsuis limite à deux doigts de détrôner l'un des groupes de mon top 3 pour y foutre AnB depuis maintenant deux mois 😍

Xuaterc

Xuaterc le 18/02/2025 à 11:13:02

Un album qu'il est bon d'écouter de temps à autres pour conserver une bonne hygiène auditive

Aldorus Berthier

Aldorus Berthier le 19/02/2025 à 00:54:56

@Xuaterc Moi qui croyais que tout le black d'avant-garde que tu t'enfumais au p'tit déj te la maintenait déjà bien comme ça !

Xuaterc

Xuaterc le 19/02/2025 à 08:43:47

Ce n'est pas que pour moi, je doute que tout le monde soit prêt à remplacer ses vitamines du matin par l'écoute de Written In Waters, La Masquerade Infernale ou Neaonism, même avec un service à thé Ulver

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