Big|brave - nature morte
Chronique CD album (16:14)

- Style
Doom sludgesco-dronesque expérimental et chamanique - Label(s)
Thrill Jockey Records - Date de sortie
24 février 2023 - écouter via bandcamp
A propos d’une des meilleures sorties de 2021, nous écrivions ceci : “La force de ce minimalisme de surface, c’est qu’il confère à l’album une dimension hautement oppressante, en cela qu’il sous-entend ne montrer qu’une partie du potentiel destructeur de la musique de Big|Brave. Orchestré comme une longue séance d’hypnose, « Vital » semble ménager ses coups, comme si la musique du groupe gardait une longueur d’avance sur son public, comme si elle se concentrait comme une boule d’énergie pure pas encore éclose. Une menace permanente planant au-dessus de nos têtes qui s’abat à intervalles réguliers et méthodiques. D’où cette tension constante, que ce soit dans les instants de retenue ou dans les explosions successives. Au vu de la claque qu’administre cet album, on se rassure avec délectation avec la certitude que Big|Brave a encore beaucoup à nous dévoiler de son univers.” Reprenons donc ici, 2 ans plus tard, en entérinant cette intuition qui concluait notre chronique dudit album. Entre-temps, les Canadiens nous auront pris à contre-pied en livrant un album surprenant mais tout aussi essentiel d’americana malade et de folk neurasthénique en collaboration avec The Body. D’aucuns pourraient y voir une simple parenthèse dans la carrière du groupe, mais à l’écoute de son nouvel opus, qui reprend là où “Vital” nous a laissés, on peut saisir le sens de la nuance qui s’y développe de manière extrêmement subtile.
Adonc, “Nature Morte”, et son artwork mettant en scène un bouquet de fleurs flétries dont les couleurs vives des pétales regorgent encore d’une vie éternelle. Paradoxe de cette figure de style picturale qui ici, allie vitalité pleine de rage et noirceur mortifère. Sans s'encombrer de préambule ou de longue montée en puissance, comme pour mieux se relier de manière radicale à son prédécesseur, l’album s’ouvre sur les vociférations habitées de Robin Wattie, à l’unisson des martèlements martiaux de Tasy Hudson et des couches incisives des drones saturés. Pour quiconque a déjà pu apprécier une performance live de Big|Brave, il s’avère aisé de visualiser Mathieu Bernard Ball martyriser sa guitare devant les amplis pour en tirer les plaintes les plus torturées, tandis que celle de Robin Wattie participe au tissage dronesque de l’ensemble. Pas besoin d’invitation, on s’installe d’emblée dans l’ambiance suffocante de “Carvers, farriers and knave”. Lorsque les lignes de batterie se complexifient, tandis que les guitares, sans se déprendre de leur agressivité, se montrent un tantinet plus mélodiques, il est déjà trop tard : la transe nous a emportés tutoyer les recoins les plus obscurs de l’âme.
En un titre, “Nature morte” entend, sans avoir à en faire des tonnes ni se perdre aux quatre vents, apporter de nouvelles facettes à la musique de Big|Brave, et ce n’est là que le début des nombreuses surprises que l’opus réserve. Moins monolithique que “Vital”, moins minimaliste, sans céder à la surenchère, plus varié, mais toujours aussi étouffant, même dans ses moments les plus calmes. Alors que “The one who bornes a weary” débute sur une rythmique entraînante, le titre ne tarde guère à ralentir la cadence pour se traîner dans la contemplation de ses affres. Le chant de Wattie glisse alors tout en finesse et en fluidité de la placidité contrite aux hurlements furieux de la colère et de la douleur. Du reste, l’album se structure en deux parties qui se concluent chacune par un relativement court titre, le 1e, instrumental, tout en nappes de drone inquiétantes (mais d’où sourdent des mélodies ténues et qui se clôt sur de douces notes mélancoliques), le second presque apaisé par ses arpèges cristallins et la voix délicate de Wattie. C’est sur cet équilibre constant des contraires qui se mêlent dans un même élan plutôt que de se succéder ou de se confronter que l’album se construit pour livrer ses richesses.
Le génie de Big|Brave consiste ici à entretenir la lourdeur de sa musique tout en y insufflant des moments de respiration presque contemplatifs sans que jamais on n’ait l’impression que ces ambiances antagonistes ne soient collées les unes aux autres. D’ailleurs, le groupe redéfinit la règle des 3L : lent, lourd, long, certes, mais sans avoir à épuiser les riffs ni pousser tous les potards à 11, car il suffit d’aller puiser dans les tripes pour extirper de moult façons les émotions qui s’y tapissent. Celles-ci prennent alors 1001 visages, tombent les masques et confèrent à la musique un caractère organique à la fois sale et pur. Comme autant de souffles retenus, menacés d’être les derniers, les silences deviennent bavards. Le groupe sait les faire parler, en les chargeant d’un danger constant. D’ailleurs, on s’attend toujours à en voir surgir une stridence, un larsen, un gémissement ou un rugissement saturé. Comme on boit les paroles d’un conteur charismatique, on se délecte de chaque schéma, chaque plan, chaque note de l’album. “A parable of the trusting” illustre à merveille l’ensemble de ses nombreuses facettes. En 9 minutes, on aura eu droit à de longs silences dans lesquels une rumeur troublante se vautre, des percussions expérimentales, dignes des meilleurs albums de Nurse With Wound ou d’Illusion of Safety, des mélodies écorchées à la voix, traînées sur les lames acérées d’accords dissonants, avant que tout ce beau monde, poussé par l’ire du désespoir, et sans interrompre la dynamique hypnotique de l’ensemble, se laisse aller dans la tonitruance d’un bain de lave cathartique.
10 COMMENTAIRES
AdicTo le 23/02/2023 à 10:16:41
Je lui donnerai une nouvelle chance quand il sera dispo en intégralité mais je l’attendais et les teasers m’ont moyennement emballé…
Moland le 23/02/2023 à 10:58:53
Plutôt différent du précédent. Plus nuancé, plus varié, moins monolithique que le précédent. Du coup, globalement moins lourd. Mais plus subtil, sans doute. Et plus riche.
AdicTo le 23/02/2023 à 11:21:23
En tout cas tu le vends bien. :-)
Moland le 23/02/2023 à 12:08:18
Tu me diras si c'était de la publicité mensongère :)
Pingouins le 24/02/2023 à 17:34:45
Vraiment un bon album, et effectivement, les mots "transe" et "cathartique" viennent à l'esprit, on se laisse facilement happer par la distorsion.
Moland le 24/02/2023 à 19:06:39
J'aime beaucoup comment ils ne nous servent pas ma même sauce d'un album à l'autre tout en restant cohérents et reconnaissables. #top2023.
Merci d'avoir lu.
Tak le 25/02/2023 à 18:52:13
J'avais beaucoup apprécié leur album de 2019, mais n'aie pas trop suivi ce qu'ils ont fait depuis, ce skeud sera sûrement l'occasion pour moi de renouer avec la tension sourde de cet excellent groupe canadien.
Et très jolie chro' au passage, ça donne vraiment envie d'y poser une oreille !
Moland le 25/02/2023 à 23:07:59
Merci d'avoir lu. Je te recommande l'album en collaboration avec The Body. Dans un autre genre, plus folk, mais tout aussi bon. Chronique ultime chez nous aussi. :)
AdicTo le 18/04/2023 à 20:47:08
Retour tardif mais pour ma défense j’ai récupéré le disque que fin de semaine dernière :)
Après 2 rotations successives, j’en sors un brin sonné. Il n’y a que «carvers, farriers and knaves» qui pour l’instant m’envoûte moins. Peut-être dû à son entrée en matière plus «brutale». La qualité de l’enregistrement est très bonne et l’écoute se fait naturellement très attentive.
Conclusion: très bonne publicité :)
Moland le 19/04/2023 à 06:50:59
Adicto, tu fais plaisir. C'est rare de voir quelqu'un apporter ses impressions plusieurs mois plus tard, et sur 1 album et sur 1 chronique. Du coup, merci. Et bien content de ne pas t'avoir donné l'impression de mentir sur la marchandise.
Perso, J'aime tout l'album, il sera dans mon top2023, et le 1e titre qui commence comme si on le prenait en cours et change d'ambiance dans sa seconde partie, c'est juste parfait. Vais me refaire l'album, tiens, ça faisait longtemps.
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