Death - Human
Chronique CD album (34:02)

- Style
Death metal technique - Label(s)
Relativity Records - Sortie
1991 - Lieu d'enregistrement Morrisound Studios
Batterie féline en fade-in, toms et double tout en effervescence veloutée … Dès les premières secondes de « Human », 4e opus et tournant dans la discographie de Death, le message est clair: « On est armé d'un batteur qui bute, on a encore réussi à monter le niveau d'un cran, et on va vous estomaquer à un point encore inconnu de la gastro-entérologie moderne ». Arrivent alors les guitares rythmiques, panzers chaussés de ballerines, puis soudainement la charge devient plus frontale, massive mais chirurgicale, jusqu’à ce qu’à 1:37 surgisse de ce bouillonnement millimétré une guitare lead-phœnix, dentelles et titane, qui s’envole avec grâce et raffinement au-dessus des éclats du champ de bataille … Le ton est donné.
C’est donc en 1991, un an après avoir amorcé le mouvement sur un « Spiritual Healing » aux velléités mélodiques et à la volonté claire de s’affranchir d’un passé un peu trop rustiquement bourbeux, que Chuck Schuldiner décide de mener la mue à son terme. 1ermouvement: jouer les DRH sans scrupule, virer les branches mortes et recruter la crème de la crème des musiciens, en l'occurrence Paul Masvidal & Sean Reinert, chirurgiens-troubadours officiant dans Cynic, et de Steve DiGorgio, bassiste d'élite sévissant principalement au sein de Sadus (mais pas que …). 2e mesure: se démarquer de l’imagerie thrasho-clownesque des pochettes d’Ed Repka et opter pour le trait sobre & smart de René Miville, plus nuancé, tendance clair-obscur suggestif. 3e changement de cap: chasser zombies et questions de société des textes et se recentrer sur une approche plus subtile et intimiste. Et roule ma poule! Si avec ça on ne passe pas dans les hautes sphères de l’intelligentsia guitaristico-esthético-métallique, c’est à n’y plus rien comprendre…
Et le résultat est là, sans appel: 500 000 exemplaires écoulés de par le monde, un classement dans le recensement des 100 meilleurs albums de gratte de tous les temps par le magazine Guitar World... Death livre avec « Human » un mètre étalon en matière de techno-death, rejoignant ses camarades Atheist au rang des fondateurs de cette sous-chapelle très élitiste du death metal, genre que le groupe – faut-il le rappeler – a déjà largement contribué à populariser. Ainsi, à de rares exceptions près (l’épisode fangeux à 0:19 sur « Suicide Machine » par exemple), exit les rugosités du passé, oubliées les transitions brutales de « Spiritual Healing », affinée la trop évidente mise en avant des soli de ce même album: tout coule maintenant, fluide et limpide, de la plus vigoureuse des sources décibelliques. Si la puissance de feu et l’aspect massif des guitares « rythmiques » – toujours entre l’essaim d’hélicoptères de combat, la tornade de feu et la division blindée lancée à plein régime – sont conservés, Chuck cultive plus que jamais cette propension naturelle à déployer de majestueuses envolées mélodiques au milieu de la déferlante métallique, et ajoute dorénavant le doigté d’une batterie jazzy, le velours de passages tout en délicatesse (le début de « Lack of Comprehension ») ou encore une touche prog' « cosmique » (« Cosmic Sea », le décrochage à 1:28 sur « Together as One »…) à des morceaux dès lors transfigurés. Sur ces derniers points, l’apport des fines lames de Cynic est indéniable – sans vouloir diminuer le mérite de Chuck. Et d'ailleurs, disséminés à espaces réguliers au cours de l’écoute de l’album, on remarque que des liens tangibles se sont tissés entre toutes les formations « sœurs » de l’époque, que ce soit avec Pestilence (cf. vers 1:04 sur « Cosmic Sea »), Atheist (cf. « Suicide Machine » vers 1:54) ou évidemment Cynic. Quelque chose se passe ici... On sentirait presque qu’un pan d’histoire musical est en train de s’écrire (que c’est confortable d’avoir du recul pour écrire une chronique!).
Mais enfilons à présent stéthoscope et gants stériles afin de voir plus précisément ce que « Human » a dans le ventre. Bien que l'ensemble de l'album soit d'un très haut niveau, on constate que certains titres ressortent tout particulièrement du lot. C'est le cas de « Secret Face » et de son majestueux vortex guitaristique ascendant, à la fois lourd et aérien, qui se manifeste par deux fois, en début et fin de morceau. Puis on souille derechef un sopalin sur « Lack of Comprehension » qui marie avec maestria abrasivité et sensibilité, et a donné lieu au tournage d’une vidéo que les petits français auront pu visualiser sur l’excellente VHS « Visions of Brutality ». Sur cette dernière, on a d’ailleurs également droit à une utilisation récurrente de l’autre grande réussite de l’album: le fabuleux instrumental « Cosmic Sea », voyage onirique entre grands fonds abyssaux et confins interstellaires, sur lequel Steve D. place une ligne de basse légendaire faisant montre d'un excellent je ne sais quoi de fierté andalouse. Mais les autres morceaux ne sont pas là pour faire du remplissage, que ce soit « Vacant Planets » et son superbe tapping accompagné d’une légère couche de batterie fine, « Toghether as One » et sa volée de bois vert à 2:30 ou « Flattening of Emotions » sur lequel je me suis déjà longuement appesanti en début de chro’. Je ne me permettrai finalement que 2 critiques légères: le groupe se laisse en effet parfois aller à un excès de tortillons, ce qui diminue en conséquence la fluidité de certains titres et entache légèrement le tableau – je pense notamment au morceau « See Through Dreams » qui ne dénoue quasiment jamais complètement les nœuds de sa structure. Deuxièmement – et sur ce point on va me tomber dessus à bras raccourcis –, les soli font parfois plus dans l’arty pur que dans la symbiose parfaite avec le morceau – ce qui me frappe sur « Flattening of Emotions » ou à la fin de « Cosmic Sea ». Voilà, j’en ai fini avec mes mesquineries de sodomite insectophile.
Album de la maturité et de la concrétisation d’une vision jusque là restée au stade embryonnaire, « Human » n’éclipse pas pour autant ses prédécesseurs mais marque l’accession du groupe à un nouveau palier, stylistique et esthétique. Moins proche que par le passé de ce que beaucoup considèrent comme la vraie essence du death metal – la brutalité débridée, la rugosité, la dangerosité, la bestialité – Death aspire dorénavant à plus de clarté, plus de "sagesse", et cela passe par des morceaux plus aérés, faisant preuve de plus de retenue, de subtiles dosages et de virtuosité technique. Chuck ayant enfin réussi à donner corps à ses aspirations profondes, les 2 albums suivants continueront logiquement sur cette lancée, prolongeant la bonne parole du death metal intelligent auprès d'un public conquis. Une oeuvre référentielle donc, qui – au-delà de la sphère death métallique – pourra plaire aux amateurs de musique progressive et technique n’ayant pas peur de salir un peu le maillot …
Pour la petite histoire:
- l'édition japonaise de l'album contient en bonus une reprise du « God of Thunder » de Kiss
- « Cosmic Sea », non content de jouer les transitions de luxe sur « Visions of Brutality », est utilisé sur le jeu vidéo « Damage Incorporated »
- « Secret Face » figure en 2e position sur la track list de la compilation « Masters of Brutality », entre le « Abominations » de Morbid Angel et le « Body count » de Morgoth.
1 COMMENTAIRE
frolll le 20/02/2011 à 10:16:56
Un peu under quelque fois, niveau composition, d'un album comme Leprosy, on reste tout de même en compagnie d'un Death de grande qualité, jouant vraiment vraiment tight - les rapprochements avec Atheist, Pestilence et Cynic ne sonnent pas faux, en effet
AJOUTER UN COMMENTAIRE