Deftones - Gore

Chronique CD album (48:15)

chronique Deftones - Gore

Quand en 2016 tu songes à faire dans l'info, même musicale, et que tu manques de réactivité, t'es vu comme un gros naze, presque condamné à mourir. 

C'est pourtant oublier que l'art peut prendre du temps dans sa création comme son appréciation. Cette chronique de Deftones vient donc "après la guerre". De nombreux webzines ont déjà faits le plein de clics sur le dernier groupe valable parmi les précurseurs du "néo".
Deftones a d'ailleurs gardé et renouvelé son public en avançant sans cesse. Jusque-là je ne t'apprends rien et ne prends aucun risque en balançant quelques lieux communs. Mais sache que je fouette sévère à l'écriture de chaque mot de cette chronique.

C'est que "Gore" a tout de l'album de la scission.
Déjà celle du groupe, qui a composé dans la tension. 
Carpenter n'a pas caché ses difficultés à écrire pour "Gore", et les engueulades au sein du groupe furent nombreuses
C'est aussi le premier album enregistré après la mort de Chi, celui sur lequel Sergio Vega a peut-être l'occasion de vraiment s'exprimer et Chino s'est inspiré (sans s'auto-parioder ?) de ses autres projets musicaux.  
 

"Gore" est un album extrêmement important dans l'histoire du groupe. On ne s'en rend peut-être pas encore compte, mais, avant même d'aborder la question purement musicale, on sent qu'un virage s'opère.

Enfin, puisque c'est la musique qui nous intéresse, on va donc passer sur le mauvais goût de la pochette (le groupe aime décidément beaucoup les volatiles) ou l'absence d'une édition collector vraiment stylée (ou enrichie)...et l'éternelle nullité des clips vidéos du groupe pour rentrer dans le vif du sujet.
 

Le lancement sur "Prayers/Triangles" n'est pas hyper bouleversant, nous avions déjà retourné la chanson dans tous les sens lors de sa mise en ligne. Morceau "autoroute", classique, sans transcendance ni médiocrité, il est ce que Deftones peut faire de plus attendu. Légèrement aérien sur les refrains, parfois bien lourd sur les couplets, le morceau a deux souffles, mais il ne coupe pas le notre.

"Acid hologram" est la première occasion de rentrer (ou pas) dans cet album.
Les premières écoutes étant rarement celles de la tempérance, c'est sans doute là qu'il faudra persévérer pour se faire un avis définitif. Pourtant, il a de quoi être négatif.
Les choix des lignes de chant de Moreno semblent maladroites (surtout sur le finish), un faux-rythme s'installe rapidement, les bascules vers d'autres tons sont assez brutales, grossières et ne se marient pas vraiment bien.
En bref, ça sonne bancal.

Bancal ou "autrement" ? 

A ce moment de l'album il est un peu tôt pour se décider, surtout qu'arrive le puissant "Doomed user", qui présenté sur le net avant la sortie de l'album, avait laissé l'enthousiasme au placard. Comme si les cris alliés à des riffs hyper-lourds sauvaient n'importe quel titre du groupe.

Pourtant on sent bien que le groupe commence à dessiner les contours d'un album qui n'est pas qu'une simple suite de pistes.

Cette cohérence sonore on la retrouve avec "Geometric headdress". Le groupe longe ses limites de manière très raide, très rigide.
Il fait dans l'aérien quand il faut caler de la légèreté, il faut du tendu à d'autres moments bien précis.
Et les morceaux défilent ainsi. On sait qu'à un moment ça va s'énerver, à un autre se calmer, alors qu'on attend une quelconque surprise...en vain. 

Ce côté artificiel rappelle l'éponyme de Deftones, dans lequel le groupe avait tendance à s'auto-parodier en ne dégageant rien mais en ayant crée des compos, efficaces, très carrées, mais dénuées de passion.


Cette raideur créative on la retrouve jusque dans les patronymes ou le vocabulaire des titres avec l'usage des "/" par deux fois qui montre cette volonté de bien séparer les ambiances. Tout comme "Geometric Headdress" et ce désir de faire des créations assez rigides. (ex : les triangles  / le visuel du clip).

"Hearts/Wires" sont autres 5 minutes qui peuvent nous faire basculer. Entre l'intro à rallonge, et la fin du morceau qui traînent un peu, on re-découvre tout de même l'envie du groupe d'écrire autrement. Les side-project de Moreno s'expriment enfin, mais on cherche encore qui tient le groupe.

Hormis Carpenter et Moreno, le groupe est composé de trois autres membres...qui sont d'une incroyable discrétion. Chacun fait son job, sans éclat, étouffé par la production.
Delgado s'offre bien quelques secondes de présence (ex : "Xenon"), Vega ne s'est hélas pas encore imposé et le batteur n'a que peu d'occasions de briller (exception faite de "Gore") relégué dans les abysses sonores.

Mais la deuxième moitié de ce disque a de quoi remonter le moral des déçus. Encore une fois, prises individuellement les pistes manquent souvent d'un petit quelque chose, et encore une fois, sur "Pittura Infamante", le final part de traviole. Pourtant, le lien avec "Xenon" prouve qu'il faut voir "Gore" dans son ensemble.
 

Avec sa production assez particulière, qui n'a rien à voir avec "Diamond eyes" ou "Koi no Yokan", le groupe continue tout de même ses explorations et se dessine de nouveaux contours musicaux.
Encore taillés grossièrement, on a finalement l'impression que c'est Carpenter qui est le plus à l'aise dans cet univers.

Moreno semble parfois se forcer à caler des cris et tourne pas mal en rond là où le guitariste multiplie les essais, les ambiances.
Bien qu'il ne soit pas l'auteur du solo de "Phantom bride" (Jerry cantrell étant passé faire un coucou chez Megawatt recording), on sent une volonté de ne jamais faire de "bis". Parfois ça marche, parfois pas.
Ainsi "(L)Mirl" démontre une autre facette d'un groupe qui finalement sait encore surprendre tout en gardant un souci de la mélodie avec cette fois une clôture parfaite.

Si tu n'as pas perdu le fil de cet article, tu te souviens que j'ai parlé d'un "faux-rythme". Il est omniprésent, et il est difficile de s'en défaire, jusqu'à ce que "Gore" remette les pendules à l'heure. 
Avec ce morceau, Deftones brûle par le froid. Cris et hurlements ponctuent un morceau mené tambour-battant par Cunningham et les riffs graves et hachés de Carpenter, parfaitement dans son rôle.

On garde alors un peu de tension et d'attention pour les deux derniers morceaux qui sont bien loin des explosions de la 9ème piste...et tant mieux ! On part cette fois de rock/métal aérien dans lequel on entend Delgado distiller quelques notes loin d'être inutiles. C'est sur un morceau accueillant un guest que le groupe semble enfin jouer dans son ENSEMBLE...ce qui donne encore de bonnes choses. 
Jusqu'à "Rubicon", ce petit cours d'eau symbole d'un pas que l'on franchit pour se lancer dans une nouvelle conquête. Un dernier morceau dans lequel on entend encore le groupe dans son entier, retrouver sa cohérence mêlant parfaitement son désir de nervosité allié à une dose de légèreté à la recherche constante d'un équilibre.
 

Alors, au final, comment il est cet album ? 
Parce que c'est bien beau d'avoir mis dit qu'il était partiellement mauvais, parfois décevant, mais aussi efficace et osé...on est bien peu avancé. (Je dois bien l'avouer, je suis encore assez confus).
Il faut sans doute modifier son regard sur Deftones pour aborder ces 48 minutes. Essayer de faire table rase de ce que l'on connait de lui. On retrouve alors quelques mauvaises idées, d'autres bonnes mal dégrossies et, heureusement, de très bonnes.
La production de Matt Hyde, qui a touché à pas mal de genres, témoigne aussi de cette volonté de renouvellement constant des californiens. Le véritable ennui est que peu de charme se dégage de cet album, sans ce dernier tiers qui déboîte pas mal mais que l'on aurait tendance à ignorer faute d'enthousiasme sur la première demi-heure.

"Gore" est donc une affaire de persévérance pour l'auditeur mais aussi le début d'un nouveau cycle pour Deftones...à condition que ses musiciens prennent encore du plaisir  à jouer ensemble.

photo de Tookie
le 11/05/2016

4 COMMENTAIRES

pidji

pidji le 11/05/2016 à 10:50:40

En total accord avec le côté "autoparodie" ; même sentiment que sur l"éponyme, et ça me brouille l'écoute...

le botch

le botch le 11/05/2016 à 16:16:25

Moi j'adhère !
Je ne vois pas en quoi cet album est plus autoparodique que Koi No Yokan qui a suscité une pluie de louanges à sa sortie et qui s'avère être à mon sens leur disque le plus formaté, prévisible et consensuel... Enfin chacun ses goûts quoi !
Leur disque le moins apprécié avec l'éponyme et pourtant l'un des meilleurs...

pidji

pidji le 11/05/2016 à 17:02:31

Ouep, pour le coup j'avais complètement adhéré à "Koi No Yokan". Mais pour celui-ci, non, aucune émotion ne traverse mon esprit malheureusement.

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 11/05/2016 à 19:02:57

Moi je dis que c'est l'album de la (circon)scission.

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