Demoniac - Nube Negra

Chronique CD album (41:45)

chronique Demoniac - Nube Negra

Il y a des genres qui ont été tellement visités de fond en comble, et qui sont à ce point codifiés que les groupes qui s'entêtent à les faire vivre n'ont plus guère de matière pour nous offrir autre chose que des albums corrects, sympas, ou au mieux – allez – vraiment bons. Mais géniaux, transcendants, révolutionnaires, non. Ça n'est plus possible, ma bonne dame : on a raclé le fond, 'y a plus moyen ! Certaines des chapelles chères à mon petit cœur duveteux sont embourbées dans cette ornière depuis quelques années déjà : le Thrash, et le Swedeath. Ce qui explique qu'il soit assez rare de voir des nouveautés inscrites dans ces mouvements récolter ici des scores olympiens – autrement dit un bon 9/10, voire plus. Alors quand cela arrive, quand des musiciens ont pris les drogues adéquates, passé le pacte approprié avec el Diablo, filé suffisamment de Red Bull à leur muse pour défier tous les pronostics et livrer l'une de ces anomalies disco-probabilistes que l'on n'espérait plus, forcément, ça marque les esprits.

 

Et justement, deux électro-chocs violents ont secoué la sphère Thrash ces dernières années. Tout récemment, c'est depuis le Canada de Terrifier que l'onde de choc Trample the Weak, Devour the Dead nous a secoué les puces et l'échelle de Richter – le bougre a déjà sa place au chaud réservé dans mon Top de fin d'année. Mais il n'était pas le premier de la présente décennie. Car en remontant de quelques tous petits crans l'axe des temps, on arrive vite aux pieds du monumental So It Goes, confectionné à Limache, Chili, par Demoniac. Et qu'est-ce qui faisait la particularité de cette bouillonnante potion sud-américaine ? Plusieurs facteurs. Parmi lesquels une délicieuse schizophrénie qui faisait cohabiter – pour ce qui est du côté obscur – invectives fielleuses hispanophones, excès de vitesse déraisonnables, riffs ébouriffés et ébouriffants, attitude teigneuse et sombres échardes, avec – on regarde à présent le soleil dans les yeux – des guitares virtuoses, des accents magnifiquement NWOBHM-iens, et de magistrales fulgurances mélodiques. Cet album, c'était un top model souffrant du syndrome de Gille de la Tourette, un assassin sans foi ni loi devenu Chevalier de la Table Ronde, Venom reconverti au néoclassicisme. Un rêve éveillé, rehaussé d'une originalité particulièrement marquante : la présence d'« Extraviado », long interlude bâti autour de l'intervention d'une clarinette langoureuse...

 

Sacré eux, quand même !

 

On n'en aurait pas voulu au groupe d'en rester sur cet exploit, tant il semblait indépassable. Mais évidemment, c'est avec les glandes salivaires en ébullition qu'on a accueilli l'annonce de la sortie de Nube Negra. Et si le choc n'est peut-être pas aussi terrassant que celui vécu la fois précédente, on peut dire que lesdites glandes ne se sont pas activées par anticipation pour rien : c'est une nouvelle tranche d'excellence thrashophile dans laquelle les Chiliens nous proposent de mordre à pleines dents. Car les Nuages Noirs en question (vous ne parlez pas espagnol couramment ?) procurent à nouveau ces sensations fortes qui nous avaient rendus accros à son aîné. À la source de ces sensations, le morceau-titre, qui file à nouveau ventre-à-terre à travers la plaine, profitant d'échappées de sa basse magnifique et de guitares animées d'un souffle divin pour nous faire admirer des sommets à d'autres inaccessibles. Puis, plus loin, « La caída », qui conjugue générosité et virulence en une course époustouflante culminant sur des rossignoleries twins fabuleusement tragiques en milieu de morceau. Et enfin « El final », qui n'est que faste, panache et pistons turbinant à un rythme d'enfer.

 

Derrière ces trois piliers grandioses se cache une forêt décibélique touffue abritant quarante minutes de monts et merveilles. Au sein desquelles l'on trouve un gros supplément de singularité par rapport à 2021, Demoniac ayant décidé de pousser un peu plus loin encore l'affirmation de sa liberté artistique. Car si le relais de la clarinette a bien été passé à l'opus nouveau – une bonne première moitié de « Granada » lui est consacrée –, ce n'est plus la seule excentricité que le groupe se permet. Celui-ci s'amuse par exemple, le temps de « Marchageddon », à composer une longue introduction qui aboutit, à 1:41, au démarrage effectif d'un morceau... qui ne dure que les 10 secondes restantes ! Les coquins. Sur le triste et lent « Synthèse d'accords », le clin d’œil à la francophonie ne s'arrête pas au titre, puisque c'est un accordéon qui mène la danse pendant pas moins de 3 minutes et 15 secondes. Parfaitement. Et si vous acceptez de pousser avec moi jusqu'à « Veneno », vous constaterez qu'après une premières moitié consacrée aux effusions usuelles, c'est une longue agonie Doom qui conduit progressivement le monitoring cardiaque de l'auditeur à dessiner un trait irrémédiablement plat.

 

Ils n'en font vraiment qu'à leur tête !

 

Cela gratouillera sans doute négativement quelques oreilles tradi. Pourtant on ne peut que saluer ces prises de risque qui rappellent, toutes proportions gardées, la démarche (artistique et non pas spirituelle) d'un groupe comme Believer. Et au final cela contribue encore un peu plus à la très bonne impression que nous laisse Nube Negra, successeur d'un géant qui, s'il n'atteint peut-être pas tout à fait les mêmes altitudes, notamment du fait de l'effet de surprise qui aura profité uniquement à son aîné, n'en est pas moins tel un Annapurna I gravi après l'Everest : un sommet tout aussi vertigineux, source de grisante euphorie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte : intimidant. Décourageant même. Sortir un album après l'exceptionnel So It Goes était plus qu'un challenge : c'était une sorte de travail d'Hercule du Thrash. Notez qu'on en a vu, jadis, remporter ce genre de pari. Comme Archspire avec Bleed The Future. Alors après tout, pourquoi pas ? Et justement, on peut dire qu'avec Nube Negra Demoniac s'en est brillamment sorti. Sans doute ce troisième album ne dépasse-t-il pas son aîné – on peut même discuter de s'il arrive à l'égaler ou non. Mais il fait tout aussi forte impression, vole largement au-dessus de la concurrence, et pousse un gros cran plus loin les velléités émancipatrices d'un groupe qui n'en fait qu'à sa tête en invitant à la même table fulgurances guitaristiques et accordéon, sprints vertigineux et abandon Doom. Fort, très fort.

 

photo de Cglaume
le 20/10/2023

3 COMMENTAIRES

Black Comedon

Black Comedon le 25/10/2023 à 16:10:07

Tout comme le précédent, je reconnais la qualité du truc mais incapable de rentrer dedans !

cglaume

cglaume le 25/10/2023 à 19:29:31

Mais faut pas rentrer dedans malheureux tu vas tout l’abîmer !!! C’est lui qu’il faut laisser rentrer dans tes oreilles 😁

Black Comedon

Black Comedon le 02/11/2023 à 12:33:34

J'ai ouvert mes chakras comme on dit qu'on ne sait pas quoi dire, et bah c'est pas pour moi !
Le chant frénétique, l'espagnol, la prod, les solos à rallonge j'accroche pas... Y a des trucs vraiment cool et ça joue fort bien, mais globalement ça suffit pas à mon ptit coeur.

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