Eyes - Congratulations

C’est que je les avais presque oublié mes petits danois préférés. Après un Underperformer qui leur avait valu un 10/10 que je trouve toujours aussi mérité avec le temps et qui, une fois n’est pas coutume pour que je m’en enorgueillisse, avait trouvé un certain écho dans les commentaires, après un album de remix Reperformer bien mais pas forcément nécessaire, les revoilà avec Congratulations.

Pour les pressés non chronicophiles, si vous aviez aimé Underperformer, vous aimerez Congratulations car la formule du quintette danois n’a pas changé d’un iota même si elle est plus aboutie. On retrouve cette adéquation magique de leur hardcore métallique et très personnel, cette dualité qui fait selon moi la patte autant que l'intérêt du groupe: une musique hésitant entre punk/hardcore new-jersien et hardcore mélodique associé à un chant déflagrant qui n'hésite pas à frapper à la porte de registres plus extrêmes, ici black metal (sérieux, si!), ici screamo.

Pour ceux qui débarquent. Eyes, c'est deux guitares très simples qui se titillent dans une complémentarité complice, se complaisent dans des riffs répétitifs installées dans leur canapé de grooves chaotiques et qui s'en extirpent avec ces slides driftant sur tout le manche (sérieux, les mecs ont du se scier les pognes sur un morceau comme "Dull Boy"). Eyes, c'est aussi une section basse batterie très basique mais dopée…et dopante. Mais Eyes, c'est surtout à mon sens Victor Kaas...Le genre de grand échalas qui ne paie pas de mine mais n'a besoin que de sa voix pour révéler l'entièreté de son talent. Une voix vivace, piquante, unique, pas méchante mais bien énervée, faite de cris sans retenue ni quelconques filtres ou théâtralisations. Victor n'est pas là pour tenir le rôle d'un énième homo-fragilus dans une comédie artistique mal surjouée. Il expire ses rancoeurs dans de colériques logorrhées, expie sa détresse dans des vocalisations à la violence cyclothymique. Mais cette violence vocale, l'auditeur peut facilement s'en emparer tant elle est purgative, jubilatoire, puissante. On y retrouve encore l'énergie déclamatoire d'un Pucciato mais les influences se masquent de plus en plus. On ne peut en tout cas que s'incliner à l'écoute de sa prestation monstrueuse sur les 30 minutes de l'album notamment sur "Tearjerker"...et sourire des tympans quand on découvre les raclements de gorges et autres épisodes tussifs sur "Ballast".

On retrouve donc tous les gimmicks déjà bien présents dans Underperformer mais ici l’interprétation tout comme la production sont plus…. efficaces, moins brutes, moins raw. Côté interprétation, Victor Kaas sonne moins comme une somme idéale d’influences et si son champ a légèrement perdu en largeur, il a gagné en qualité de hargne, et en puissance. Sa voix est aussi incroyablement mieux mise en avant dans la production. Plus présente, plus assumée (?), elle porte fièrement les morceaux sur ses épaules. De fait, la dualité du hardcore très original d'Eyes est soulignée par un mixage plus intelligible, plus propre. Comme il est aussi moins sombre, les morceaux semblent un poil plus mélodiques, les attaques dans les aiguës sont plus punchy donc plus présentes...

Un mot sur l’artwork qui participe aussi à l'expression des mobiles du groupe. Une photo - probablement de Victor Kaas - malaisante avec sa scénographie kitcho-ridiculo-rigolote s'affichant dans ses couleurs passées. Et c'est bien ce malaise que l'on retrouve transcrit dans Congratulations. Un malaise coloré, entraînant et présenté dans un agréable cynisme désabusé. C'est l'occasion de préciser que le groupe s’exprime aussi bien visuellement que musicalement. Le titre éponyme s’accompagne d’un clip dans un style très arty, tres Gondry qui change de l’éternelle et ennuyeuse vidéo du groupe jouant dans un hangar mal éclairé. L'imagerie du groupe complète ainsi le propos musicale dans une association parfaitement effectuée ce qui ne manque pas d'ajouter un intérêt à l'ensemble.

https://youtu.be/6Kw4Cd_tFBY

La cuvée Eyes 2023 est donc un très bon millésime que l'on pourra consommer tout de suite ou conserver pour plus tard tant leur hardcore mélodico-urgentiste sonne déja intemporel. Congratulations est la suite logique de Underperformer, Eyes y enfonce le clou avec supplément de coups de marteau pour cette suite que l'on pourrait qualifier de normale: celle que l'on attendait d'un groupe qui a séduit des son premier jet, celle qu'on imaginait aisément pour un groupe originellement talentueux. L'évolution est plutôt à chercher du côté de la production. Une production moins sombre, plus équilibrée et qui met plus en avant l'atout majeur de cette formation : le chant qui prend ici sa pleine saveur. L'effet de surprise est donc moins présent qu'avec Underperformer,  on retrouve avec satisfaction un groupe qui nous avait pleinement satisfait. On ne peut qu'espérer pour la suite, notamment que le fameux cap du 3eme album révélera quelques nouveautés dans l'orientation musicale des danois.

On aime bien: Eyes qui fait du Eyes encore mieux.

On aime moins: le danger de continuer à faire du Eyes trop comme Eyes qui pointe le bout de son nez.

8oris

le 14/02/2023