Ghost - Prequelle
Chronique CD album (41:43)

- Style
Classic rock spectral poppisant - Label(s)
Loma Vista Recordings - Sortie
2018
écouter "Pro Memoria"
S'atteler à une chronique de Ghost est quand même un cas fort épineux. Méritent-ils leur succès ? Méritent-ils même d'exister tout court ? A ce genre de question, si l'on veut vraiment jouer les haineux qui crachent leur bile à tort et à travers, j'aurais tendance à leur dire de bien faire attention : j'ose espérer qu'ils n'apprécient, voire adulent, pas des formations comme Kiss, Queen, Pink Floyd, Alice Cooper, voire Manowar et consort... Parce que finalement, même s'ils ne jouent clairement pas dans la même cour, on y retrouve ce même sens de l'excentricité visuelle misant dans le spectaculaire, cette même utilisation de ficelles musicales très accessibles afin de toucher un large public, quitte à s'affranchir de la sphère rock/metal à grand coup de pop sucrée et autres éléments qui semblent sans rapport. Tout ça pour dire que si ces grands noms du passé, qui ont quand même bien rafler le cocotier en obtenant le statut de « mythique », « légendaire » ou autre, tout en se permettant d'enflammer les âmes des petits comme des grands, des jeunes comme des vieux, ont une existence tolérable à vos yeux, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas de Ghost. De toute manière, le groupe est là et son petit effet de mode parvient quand même à perdurer depuis huit ans, les faits sont là, indubitablement et il faut faire avec. Bien entendu, la question d'appréciation reste un autre débat sur lequel je n'irais pas tergiverser. Après tout, Tobias Forge, continue son truc, frénétiquement, en se fichant clairement pas mal des « qu'en dira-t-on » d'un public clairement divisé. Les disques se vendent, les concerts se remplissent, voilà certainement bien là le plus important. Et le « bas les couilles » du leader va même jusqu'aux mutineries et autres révolutions internes de ses ex-ghouls, c'est dire...
En tout cas, escroqueries et problèmes judiciaires ou non, Tobias Forge, en bon dictateur ultra-libéral et armé de main d'œuvre anonyme toute fraîche, nous sort cette année ce Prequelle comme si de rien n'était. Un nouvel album marquant le début d'un nouveau cycle qui n'ira aucunement concilier sa horde de détracteurs. Et n'ira clairement pas réconcilier les déçus de Meliora qui n'auraient pas accroché à sa dimension plus poppisante vu que Prequelle enfonce encore davantage le clou de l'accessibilité. Du grand frère, on lui reconnaîtra être également à bien des aspects être une suite parfaitement logique tant la vitrine « Rats » s'impose comme un single qui n'apporte rien de plus au schmilblick – mais d'une efficacité tubesque pop/glamouze redoutable – ou encore « Faith » qui trahit pas mal de tics d'écriture, même si cela ne vient pas forcément entacher son côté accrocheur.
Outre ces titres que l'on pourrait presque catégoriser de lien transitoire entre Prequelle et le passé discographique le plus récent, on pourra noter cette même approche misant sur la simplicité d'architecture : couplets sombres pour refrains davantage lumineux à portée fédératrice à fond les ballons. Histoire de faire passer la thématique morbide d'un Forge endeuillé par la perte de modèles artistiques importants à ses yeux (David Bowie, Lemmy, Prince ou encore Dio) qui régit sur tout ce disque avec énormément de légèreté et de kitsch clairement assumé (le clip de « Rats » essayant de se la jouer un peu le Michael Jackson du pauvre avec ses pas de danse dignes d'un manchot unijambiste en comparaison). Et la pilule passe fort bien, dès la première écoute, même distraite. C'est facile, c'est accrocheur, ça ne se prend pas la tête et il ne faut pas non plus le prendre au sérieux. Car il y a beau avoir de l'atmosphère lourde, parfois malaisante, afin de ne pas perdre de vue le côté macabre préalablement recherché, elle se retrouve toujours lissée par un caractère très glam, telle une friandise que l'on gobe avec gourmandise et fera le bonheur de tous les dentistes du monde.
Sur ce lissage, Prequelle peut se targuer d'enfoncer le clou d'autant plus. Allant même parfois jusqu'à lorgner vers des disco-queen-trip Abba-esque version classic rock (« Dance Macabre », le titre bonus « It's A Sin ») au point que l'album au complet donne cette vieille impression de messe satanique pailletée made in Broadway dotée d'une production de feu qui met le petits plats dans les grands entre retro-moderne et grandiloquence théâtrale, reléguant presque les premiers opus comme de simples breloques low-cost. Avec sa grande dose de facilité mais ne se révèle par ailleurs pas aussi simpliste qu'il ne le laisse à penser au premier abord. Prequelle s'avère finalement riche, tout particulièrement sur les claviers qui ont pris complètement le pas des cordes, et plutôt sophistiqué lorsqu'on s'y penche plus en profondeur. Notamment via ses instrumentaux (« Miasma » et son saxo de l'amour sorti de nulle part et « Helvetesfönster » qui pioche autant sur Ennio Morricone qu'Alice Cooper). Et tout plein d'habiletés afin de titiller sur les cordes sensibles en jouant la carte de la mélancolie céleste qui te retourne les tripes et glandes lacrymales (l'énorme « Pro Memoria » dont le Alice Cooper le plus théâtral aurait pu réclamer paternité, la clôture « Life Eternal », power-ballad à l'intensité crescendo qu'on aurait très bien pu voir sur un disque de Queen si Forge avait remplacé le regretté Freddy Mercury).
Prequelle, de son apparente simplicité fédératrice, se révèle plus nuancé qu'il n'y paraît. Mieux, il se révèle sans doute comme étant le plus abouti de toute sa discographie : il va là où où l'attend tout en s'affranchissant des limites qu'il avait lui-même posé par le passé en utilisant des éléments desquels on ne s'attendait pas forcément à le voir maîtriser. Ce qui donne à Prequelle ce petit goût de disque ludique qui peut autant parler aux oreilles aguerries qu'aux inexpérimentées. Un disque qu'on pourrait presque poser pour Ghost comme l'équivalent d'un A Night At The Opera pour Queen, un Welcome To My Nightmare pour Alice Cooper, un Operation : Mindcrime pour Queensrÿche, etc. Avec cette même maîtrise de l'excentricité visuelle aussi kitsch que fascinante qu'un Gene Simmons (Kiss) ou un Joey DeMaio (Manowar) voire Shawn Crahan (Slipknot). Les détracteurs trouveront peut-être ce genre de comparaisons totalement exagérées et hors de propos et pourtant... Peut-être n'ira-t-on pas crier au génie pour Ghost mais au moins lui reconnaîtra-t-on son habileté quant à une création sonore et visuelle toute personnelle, qui sait faire parler de lui tout en maîtrisant comment le faire. Et à l'heure d'aujourd'hui – et ce, même en élargissant à une ou deux décennies plus tôt – le projet de Tobias Forge est peut-être la seule entité possédant cette aura. Et qui pourrait peut-être même traverser les âges comme l'ont fait ses modèles...
6 COMMENTAIRES
Tookie le 10/07/2018 à 08:52:21
Impressionnante démonstration du groupe à de renouveler...avec réussite.
Xuaterc le 10/07/2018 à 09:04:00
Je n'ai pas encore eu le temps de me pencher dessus mais ma découverte du groupe a été tellement traumatisante que tout ce qui est venu après faisait pâle figure
Crom-Cruach le 10/07/2018 à 11:48:24
"A ce genre de question, si l'on veut vraiment jouer les haineux qui crachent leur bile à tort et à travers, j'aurais tendance à leur dire de bien faire attention : j'ose espérer qu'ils n'apprécient, voire adulent, pas des formations comme Kiss, Queen, Pink Floyd, Alice Cooper, voire Manowar et consort…": aucun risque perso.
pidji le 10/07/2018 à 13:19:52
Alors, je n'ai pas du tout écouté cet album, mais jusqu'à maintenant, je me suis toujours fait chier avec leurs disques. Vous me conseiller d'écouter quand même ou c'est pareil ?
Crom-Cruach le 11/07/2018 à 11:20:33
Ghost est au rock ce qu'Harry Potter est à la Fantasy.
Margoth le 11/07/2018 à 14:48:18
Cromy >>> Tout comme le look de Manowar par rapport à la virilité guerrière hétérosexuelle ;)
Pidji >>> Si Meliora t'avait emmerdé, j'ai un gros doute sur le fait que celui-là te passionnera plus...
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