Misanthrope - ΑXΩ

Chronique CD album (1:01:28)

chronique Misanthrope - ΑXΩ

« Oh bah dis, vu le langage soutenu que tu es capable de sortir de manière naturelle, tu dois être issue d'un milieu vachement aisé ! »

 

Voilà ce que j'ai eu le déplaisir d'entendre à plusieurs reprises dans ma vie de la bouche d'inconnus me tapant la discute. Déplaisir car c'est fou la propension des gens à venir juger d'autrui après cinq à dix minutes de conversation. Amusant en revanche car je suis très loin d'avoir de point d'attache avec les bobos et les nobles des hautes sphères. Certes, le milieu dont je suis issue n'est pas non plus misérable mais il est très loin de rouler sur l'or non plus. La preuve, à l'instar de Cromy, j'ai moi aussi fait mes premières armes en pointant à l'usine. Même si, de mon côté, j'ai le bon sens de rester à ma place et de ne pas m'attaquer à Primus, en bon prolétaire que je suis. Mais bon, ce n'est pas non plus parce que mes parents ne gagnaient pas des milles et des cents que j'allais me ramollir le cerveau comme une cacaille. Après tout, pas besoin d'être Crésus pour avoir accès à la culture, une carte de bibliothèque – si vous ne savez pas comment faire, demandez à Tookie, c'est son boulot – et toute la littérature s'ouvre à nous à moindre frais. Et à force de lire, le langage s'étoffe, conséquence logique. Alors, si à mon échelle qui reste, en toute honnêteté, relativement soft, je n'ose imaginer les railleries qu'a pu se prendre Philippe Courtois, alias SAS de l'Argilière, durant ses trente ans et bons et loyaux services au sein de Misanthrope. C'est qu'avec un tel pseudo et des textes autrement plus alambiqués que mes trois mots soutenus noyés dans trois tonnes de registre courant/familier, je ne suis qu'une rigolote à côté. Alors, vu qu'en plus, la musique du groupe elle-même se veut singulière et avant-gardiste, inutile de dire que ça enfonce le clou de l'image péjorative de « formation élitiste et aristo qui pète plus haut que son cul ». Et à en voir le nombre de détracteurs auxquels j'ai été confronté lors du Conquérant Metal Fest en fin d'année dernière, cette image va bon train. Et pourtant, à voir les mecs de Misanthrope taper le bœuf quelques heures plus tard avec ceux de Loudblast, Agressor, Witches, Mercyless et Crusher, en toute convivialité amicale, ça met la puce à l'oreille : et si c'était des gens parfaitement normaux qui aiment simplement les vieilles lettres et se font plaisir à explorer des contrées musicales diverses afin d'en créer une, toute personnelle, qui rentre en adéquation niveau atmosphères/ambiances avec l'image qu'ils tentent de véhiculer ? Oui, une image. Comme celle de Slayer avec ses paroles antéchrist alors que son chanteur est un pur catho. Bref, il y a un moment où il faut savoir faire la part des choses, qu'importe que le groupe soit archi-connu ou confidentiel, américain ou franchouillard.

 

Bon, après, on va le dire d'emblée, ce n'est pas avec son dixième album, ΑXΩ (Alpha X Oméga : Le Magistère De L'Abnégation), que Misanthrope se débarrassera de ce sale a priori qui lui colle à la peau. Et pour cause, le combo décide d'autant plus enfoncer le clou, sans la moindre retenue. Ni sur les textes qui ne lésinent pas sur le vieux français littéraire oublié, ni sur le caractère singulier de sa musique. Les bougres l'ont dit eux-mêmes : ils ont voulu faire l'album qu'ils ont toujours rêvé et voulu, sans bride, en se lâchant complètement, quitte à paraître encore plus arrogant que d'ordinaire. En même temps, comment leur en donner tort ? Après trente ans de carrière, ils peuvent bien se faire plaisir. Et surtout, vu que durant toutes ces années, sa réputation restant toujours confidentielle et très certainement mal interprétée, pourquoi les gens retourneraient d'un seul coup d'un seul leur veste pour les aduler ? Improbable. Alors, autant se faire plaisir et s'en foutre, Misanthrope a bien raison.

 

Grand bien lui en a pris car ΑXΩ s'avère être une franche réussite. Si toute la discographie du groupe n'a pas été toujours facile à suivre tellement ça pouvait partir loin, il faut admettre que dans ce cas précis, ça fonctionne complètement. Au point que l'on prenne au sérieux, dans ce cas précis, le sempiternel refrain d'album le plus abouti que chaque artiste aime nous ressasser à chaque période promotionnelle accompagnant la sortie d'une nouvelle galette. Doté d'un excellent équilibrage entre technicité et mélodie, ainsi que d'une grande variété, l'écoute de ce dixième opus s'inscrit sur la durée et on revient dessus avec un plaisir certain afin d'en cerner toutes les nuances. Si des titres comme « La Fabrique Du Fataliste » ou encore « Noyade Abyssale » s'inscrivent comme du Misanthrope pur jus, mode toute efficacité dehors, les Angevins savent nous montrer qu'il n'y a pas forcément que l'extrême dans la vie. C'est qu'il y a aussi le heavy (« Une Cantilène pour Célimène », « Mélissa Et Darvulia »). De même qu'il n'y a pas que la France dans la vie tant des « Ardente Psychopathophobie » ou encore « Me-Suivras-Tu ? » ramènent au death mélodique de l'école suédoise. Et vas-y que ça va lorgner dans le doom, tant dans sa lourdeur (« Aux Portes De La Basilique De Gilles De Rais ») que dans son élégance plus gothique (« Âpres Vagissements »).

 

Bien entendu, Misanthrope n'oublie pas non plus sa singularité, lui apportant autant de qualités que de torts selon l'esprit qui s'y plongerait, à savoir cette ambiance si particulière, tout en théâtralité d'école classique. Les mots inconnus pleuvent, les références à diverses personnalités issues du milieu des vieilles lettres également. Le tout avec une grandiloquence contenue et élégante de par l'apport de touches symphoniques subtiles et éparses. Mention spéciale à « Vénus Callipyge », power ballade, dont le refrain mériterait amplement que les auteurs de comédies musicales grand public en prennent une tranche – aussi bien dans l'écriture, la mise en valeur de la voix sensuelle de SAS que dans ses qualités théâtrales – histoire de nous éviter de ne plus nous faire subir cette même daube formatée qui a quand même été jusqu'à faire retourner un pauvre Mozart qui n'avait pourtant rien demander dans sa tombe et frémir le doux monde de l'opéra rock tant l'utilisation de ce terme lui aura fait perdre tout honneur et noblesse.

 

Alors, évidemment, ce n'est pas avec ΑXΩ que les Angevins arriveront à rallier un plus large public à leur cause et faire changer d'avis leurs détracteurs. En tout cas, pour ceux ayant quitté le navire en chemin à cause de certaines productions passées peut-être trop énigmatiques et expérimentales, il est temps de s'y remettre tant ce dixième album brille par sa qualité globale et son équilibrage permettant de toujours rester dans l'efficacité, le tout sans jamais perdre de son entièreté identitaire. Peut-être d'ailleurs peut-on parler d'une excellente synthèse positive de tout ce que peut représenter Misanthrope.

photo de Margoth
le 05/03/2018

3 COMMENTAIRES

cglaume

cglaume le 05/03/2018 à 11:42:46

C'est Cromy ou bien Sep' le grain de sable du taylorisme ? J'aurais parié pour le 2nd plutôt :)

Bon et sinon: est-ce que Philippe continue avec ses lamentations pleines de sanglots ampoulés, ou bien est-ce qu'il a enfin abandonné ce registre ? Car c'est ce qui me hérisse le plus dans le style Misanthrope perso...

Margoth

Margoth le 06/03/2018 à 08:03:29

Il y en a encore de ce genre de vocaux mais ils ne sont pas spécialement majoritaires.

Après, qui a lancé la guerre ouverte... Le commentateur rageux je suppose ? ;)

Xuaterc

Xuaterc le 06/03/2018 à 08:52:39

J'ai aussi lâché le groupe après Visionnaire pour ces mêmes raisons vocales. On m'avait conseillé de jeter une oreille à l'EP Ombres et Lumières et ne n'avais pas été déçu, le chant était beaucoup moins plaintif

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