Savatage - Dead Winter Dead
Chronique CD album (52:33)

- Style
Heavy Prog / Opéra Rock - Label(s)
Atlantic Records - Date de sortie
22 septembre 1995 - Lieu d'enregistrement New York City
écouter "Christmas Eve (Sarajevo 12-24)"
Se replonger dans un album de son adolescence, c’est un peu comme ouvrir un vieil album-photo. Il revient des souvenirs, des parfums, des noms… Et s’il y a bien un jour tout indiqué pour ainsi tremper sa madeleine de Proust dans l’infusion métallique, c’est le dimanche. Je vous invite donc, les copains, à passer une petite heure dans les ruines du Sarajevo de la première moitié des années 90. OK, le sujet ne prête a priori ni à rire, ni à jouer de l’air guitar; pourtant celui-ci constitue le matériau de base d’un véritable pivot dans la discographie de Savatage, et d’un coup de cœur perso d’autant plus inattendu que l’ado que j’étais à l’époque s'affairait surtout à expérimenter les joies du Death et du Black.
Mais commençons par un rapide topo historico-musical. Créé en 1983 par les frangins Jon et Criss Oliva, le groupe pratique à ses débuts un Heavy pas trop éloigné des platebandes de la NWOBHM. S’il est suffisamment prometteur pour attirer l’attention d’un mastodonte comme Atlantic Records, il ne réussit pas véritablement à s’attirer les faveurs du public… Jusqu’à un tournant plus Prog amorcé sur Hall of the Mountain King, en 1987, sous l’impulsion du producteur Paul O'Neill ** Fast forward ** Fin octobre 1993, drame : Criss meurt sur la route. Pourtant Savatage continue à riffer, avec désormais Alex Skolnick (Testament) à la 6 cordes. En 1995, tandis que Chirac joue les De Gaulle de pacotille en faisant péter des ogives en Polynésie, les Américains sortent Dead Winter Dead, leur 9e pavé. Un véritable album du renouveau puisque cet « Opéra Rock » est le premier du groupe à adopter pour trame de fond des événements historiques en cours alors que nos amis sont en studio. Le renouveau est sensible également au niveau humain, Alex mettant fin à son intérim de luxe afin de laisser la place à deux nouveaux guitaristes-titulaires : Al Pitrelli – ex-Alice Cooper et futur-Megadeth – et Chris Caffery. Côté batterie ça bouge également, avec l’arrivée de Jeff Plate, tandis que Jon se met en retrait pour se concentrer en priorité sur le travail de composition. Un album du renouveau décidément, car celui-ci contient le titre « Christmas Eve (Sarajevo 12/24) », tube de « Symphonic Père-Noël Metal » qui définira l’identité et constituera le tremplin depuis lequel sera lancé le Trans-Siberian Orchestra, formation qui finira par rassembler tout le line-up de Savatage et apportera enfin le succès auquel ses membres aspiraient – à raison – depuis longtemps.
Mais on est parti un poil trop loin là : revenons plutôt en Bosnie-Herzégovine afin de retrouver ce jeune couple serbo-bosniaque et ce violoncelliste qui sont les personnages emblématiques de l’histoire. Au passage, notez qu’on imaginerait sans mal ceux-ci prendre prendre vie dans le cadre d’une comédie musicale tant tous les éléments caractéristiques – l’Histoire avec un grand H, l’amour, la guerre, des montagnes russes émotionnelles, des morceaux parfois autant joués que chantés, des orchestrations fastueuses – sont ici rassemblés en nombre. Les moins sensibles d’entre vous auront peut-être du mal avec certains morceaux et passages de piano tellement typés que, si on poussait juste un peu le bouchon, on pourrait les croire signés Elton John – tiens, zappez à 1:12 sur « This Is The Time » pour voir. Oui, mais merde : quand les choses sont aussi bien faites, amenées à l'exact bon moment, et savamment contrebalancées par des parties plus rageuses, aucune raison de faire les bégueules ! Alors rengainez-moi ce « Pas de blast, pas de chocolat » honteux !
Difficile de saucissonner un tel album en morceaux choisis : comme le Operation Mindcrime de Queensrÿche – mon autre référence en matière de concept album Heavy/Hard Prog, ‘scusez, je ne suis pas spécialiste du genre – celui-ci se déguste d’une traite. Mais évidemment, certains chapitres ressortent avec plus d’évidence que d’autres. Comme ce fameux « Christmas Eve (Sarajevo 12/24) », pièce instrumentale grandiose revisitant en mode Metal symphonique le célèbre « Carol of the Bells » (… que Toehider reprendra lui aussi sur Under The Mistletoe). Et puisqu’on est dans les instrumentaux néoclassiques, citons également l’hommage à Mozart rendu sur « Mozart And Madness », puis la réappropriation de l’Hymne à La Joie (Beethoven) sur « Memory ». Certains trouveront peut-être l’exercice un peu facile, n’empêche : cette montée grandiose pleine de reverb vous colle de méchants frissons ! Dur de ne pas mentionner également les deux seuls titres sur lesquels c’est Jon qui assure le chant – le fielleux et grandiose « I Am », ainsi que le plus nasty Rock’n’Roll « Doesn’t Matter Anyway » –, ceux-ci étant les plus virulents, et donc les plus à même de plaire aux gras grommeleurs pour qui le Metal, merde, ça doit rester sale. Pour faire gonfler la boîte à sanglots, vous compterez plutôt sur « One Child », qui sonne comme l’héritier de « Watching You Fall » (cf. Handful of Rain), sur un « This Isn’t What We Meant » tragique, sur un « This Is The Time » à reprendre la main sur le cœur, ou sur le remuage de tripes ultime « No What You See », qui injecte un peu d’espoir dans cet incroyable merdier humain. Les solos nombreux sont bien évidemment déchirants, les violons utilisés à bon escient, et Zak Stevens s’avère cette fois encore éblouissant de classe et de justesse derrière le micro, l’effet étant par ailleurs renforcé par de savants empilages de couches de chant en « mode canon » (… sur deux pistes quand même – il faut dire que ça avait tellement bien fonctionné au sein de « Chance », sur l’album d’avant !). Et comme si cela ne suffisait pas à nous mettre le palpitant en mode girouette, le groupe place sur « Doesn’t Matter Anyway » ce qui ressemble à une spéciale dédicace pour Lapinou : un putain de break Funk, qui vient mettre un peu d’huile dans ce morceau par ailleurs bien tendu.
Alors ok, les coreux qui constituent une partie forcément conséquente d’un webzine ainsi nommé trouveront tout ça bien trop chichiteux. Et puis c’est vrai, « Starlight » est un peu trop engourdi à mon goût – on croirait la transcription musicale d’une digestion postméridienne difficile filmée dans le séjour de l’Inspecteur Derrick… Mais ces viles taquineries ont du mal à masquer l’admiration que je porte à cet album, et le plaisir intense que celui-ci continue à me procurer près de 20 ans après sa découverte, ceci alors même qu’il a à nouveau tourné une bonne vingtaine de fois ces dernières semaines, afin de préparer le présent papier. Parce que oui, réaffirmons-le : celui-ci mérite clairement sa place aux côtés d’Operation Mindcrime au panthéon des concept-albums chiadés. Il est juste un peu dommage qu’un tel pavé n’ait réussi qu’à mettre en orbite le Trans-Siberian Orchestra, et non pas à propulser Savatage à la place qu’il méritait. Mais on ne refera pas plus cette histoire-ci que celle de l’ex-Yougoslavie…
La chronique, version courte: ne maîtrisant pas l’entière discographie de Savatage, on ne se risquera pas à lancer des « Tout Meilleur », « Summum » et autres affirmations péremptoires… N’empêche : Dead Winter Dead est une « petite » merveille à la sensibilité exacerbée, au ton juste, à la narration sublime, et au faste orchestral parfaitement mesuré. Si, au panthéon des concept albums progo-symphoniques, il s’avérait qu’il y ait beaucoup d’album devant cette 9e offrande des Américains, cela signifierait que la Terre est finalement un bel endroit où faire un bout de chemin – à condition toutefois de pouvoir y passer du temps les yeux fermés, avec un casque sur les oreilles, et ce genre de munition musicale dans le chargeur …
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