Sigh - Hail Horror Hail

Chronique CD album (51:28)

chronique Sigh - Hail Horror Hail

Le Dernier du Kvlt (ou "les classiques découverts sur le tard") – épisode 8

La plupart du temps, dans les rédactions des médias métalophiles, une règle tacite veut que les grands classiques ne soient chroniqués que par ceux qui s’en sont abreuvés dès le biberon, ceux qui les connaissent sur le bout des tympans. Agir autrement serait risquer le faux pas, la risée générale, bref: l’opprobre publique. Et puis ce serait une faute de goût, un manque de « professionnalisme », et le ridicule assuré pour le malheureux qui serait passé à côté de la vérité collective – et donc universelle.

Eh bien rien à battre…! CoreAndCo et le lapinmikaze vous proposent en effet une série de chroniques thématiques qui revisitent certains classiques à travers un regard neuf, sans préjugé, suite à une découverte récente. Alors à vos fatwas: 3, 2, 1… C’est parti!

 

Cela faisait plus de 4 ans, dites, que nous ne vous avions pas proposé un nouveau « dernier du kvlt ». Il faut dire qu’il est moins risqué de se calfeutrer au fond de son terrier pour contempler, tranquillement installé dans son canapé, la fonte des glaciers, l’expansion des pandémies et le chassé-croisé des roquettes ukrainiennes juillettistes et des missiles russes aoûtiens. Il y a tant de nouveautés croustillantes et de pépites inconnues à découvrir : pourquoi se risquer à l’extérieur et s’y casser le nez sur des vieilleries de vous adorées et par moi mal digérées ? D’autant que s’il est besoin de revisiter les classiques du Black, autant confier la tâche à Seisachtheion, Crom-Cruach, ou – si ledit Black est abonné à Telerama et fait ses courses chez Naturalia – Xuaterc. Oui mais que voulez-vous : en 2012 Sigh m’a mis une énorme claque avec In Somniphobia. Confirmation 3 ans après sur Graveward, puis rebelote en 2018 avec Heir To Despair. Tant de talent pour une telle longévité : il devait forcément y avoir matière à s’étourdir les sens en remontant l’axe des temps d’une discographie qui inspirait déjà le respect des initiés au siècle dernier. D’où consultation d’avis tiers, remplissage de panier virtuel, puis avis de passage du facteur laissé alors que j’étais pourtant chez moi…

 

Pourquoi, parmi les 8 albums précédant In Somniphobia, s’arrêter sur Hail Horror Hail, 3e album sorti 15 ans plus tôt ? Eh bien parce que, d’après les popottes et autres opinions avisées, celui-ci est le premier à emprunter des chemins artistiques moins orthodoxes, du moins sur un tel format – le kilomètre 0 de la trajectoire avant-gardiste des Japonais se trouvant a priori plutôt au niveau de Ghastly Funeral Theatre, EP sorti 7 mois auparavant. Et en effet, pas de tromperie ni d’approximation dans les tuyaux qui m’ont été confiés : on est loin ici de Marduk ou Dark Funeral, ou même du son de la lame de rasoir qui avance en grimaçant dans l’artère amère. Car alors même que Lady Di refusait la priorité à un pilier du pont de l’Alma, Mirai Kawashima décidait d’opter pour un Heavy Black’n’Roll symphonico-psychédélique riche en éléments hors contexte, le résultat donnant à l’auditeur l’impression d’écouter un mémoire musical traitant de l’omniprésence du LSD et de l’ésotérisme dans les œuvres cinématographiques pré-an 2000.

 

Mais redonnons un peu de contexte à cette œuvre. Pour parler de son nouvel album, le leader du Soupir le présentait à l’époque comme « un film sans image ». Ce qui explique l’importance extrême accordées aux orchestrations et autres nappes de synthé (… parfois un peu envahissantes). Et pour couper court à tout commentaire désobligeant concernant son orientation nouvelle, le groupe avait fait inscrire l’avertissement suivant sur l’objet de la discorde : « Chaque son que vous entendrez sur cet album y a été placé délibérément. Si vous trouvez certains d’entre eux bizarres, cela ne tient pas à leur nature mais au fait que vous n’êtes pas équipés pour comprendre une telle œuvre. »… Bref: pathétiques êtres humains aux capacités limitées, je vous conchie ! Il faut croire, heureusement, que la qualité des récepteurs auriculaires de l’époque était au rendez-vous, car l’accueil de l’album fut franchement enthousiaste, le magazine Terrorizer l’ayant même fait figurer dans son Top 10 d’alors (… avant de le faire apparaître, quelques temps plus tard, dans la liste des 100 opus les plus importants des 90s).

 

Hail Horror Hail est donc une espèce de Cour des Miracles tourmentée, à la fois baroque et mélodique, occupée en partie par des démons rétro joyeusement virulents (sur le morceau-titre ou « Curse of Izanagi » par exemple), mais laissant la plupart du temps aux commandes un orchestre aussi grandiloquent que cramé du bulbe, celui-ci étant tout entier contenu à l’intérieur du clavier hollywoodien de Mirai. Dépassant plus qu’occasionnellement les 7 minutes, les compos prennent le temps (cf. le tempo souvent traînant…) de visiter les moindres recoins de leur univers horrifique, les promenades hallucinées qu’elles nous proposent laissant entendre tantôt du flutiau, tantôt de la harpe, tantôt des voix [douloureusement] vocodées à la Cynic, tantôt des glapissements de chien, des vagissements de bébé ou des clapotements de matières psychoactives. L’hurluberlu ayant entrepris d’écrire cette chronique n’étant amateur ni de ralentissements gothico-ténébreux, ni de gros motifs marron-orange so 70s, ni de ces sonorités kitschissimes popularisées par la scène Black Symphonique des 90s, il lui faut admettre que ce 3e album passe moins facilement que ses benjamins apparus postérieurement à l’investiture de François Hollande. Le van hippie plein de coussins et de fumée intitulé « Invitation To Die » ainsi que le looong et triste naufrage conclusif « Seed of Eternity » m’évoquent en effet plus le Japon de Fukushima que celui du Hentai. Mais je suis sûr que mon Xuxu de collègue ne serait pas du tout d’accord avec cette vile constatation lapinesque. D’ailleurs il faut rendre à César les 20 balles qu’on lui avait empruntés et reconnaître la qualité et la richesse des morceaux proposés, et plus encore l’incroyable audace que constitue l’écriture d’un tel OVNI au sein d’un scène aussi peu progressiste. Et puis bordel, « Hail Horror Hail », « 12 Souls », « The Dead Sing” et « Curse of Izanagi », quelles putain d’expériences quand même !

 

N’empêche, je dois reconnaître que je reviendrai plus souvent à In Somniphobia et sa descendance qu’à cet album fondateur, le son des sorties récentes étant plus travaillé, les touches exotiques plus chaleureuses, et les interventions de clavier mieux canalisées.

 

Diantre, ce dernier du kvlte saison 8 se conclurait-il encore sur une moue légèrement boudeuse ? Tu vas t’attirer des ennuis lapin…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte: troisième album de Sigh, Hail Horror Hail est surtout le premier à abandonner l’orthodoxie Black Metal pour un Heavy Black psychédélico-cinématico-orchestral affranchi de tout carcan stylistique. Si celui-ci conserve une indéniable rugosité, une certaine pesanteur, et un manque de sobriété dans l’utilisation du clavier, il impose les Japonais comme une entité à part, une personnalité forte au sein d’un genre qui, n’en déplaise à certains, n’a pas à se limiter à l’esthétisme borné promu par l’Inner Circle.

photo de Cglaume
le 23/10/2022

3 COMMENTAIRES

Xuaterc

Xuaterc le 23/10/2022 à 11:27:42

"si ledit Black est abonné à Telerama et fait ses courses chez Naturalia" c'est malin, j'ai failli m'étrangler avec mon café du matin
Tu veux parler de Leprous?...
Et ce n'est pas moi qui suis abonné à Télérama

cglaume

cglaume le 23/10/2022 à 12:11:45

Leprous, c’pas du black 😜

Xuaterc

Xuaterc le 23/10/2022 à 15:51:54

Mouaiff...
Il va falloir que je me penche sur Gallows Gallery

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