Sigur Rós - Odin's Raven Magic

J'en vois certains qui se sont endormis au fond de la classe. Je vous comprends, bercés par la douce chaleur du poêle, la voix grave de maître Cromy qui explique une nouvelle fois qu'il ne faut pas appeler le Hardcore japonais Japcore (aucun rapport non plus avec le groupe Caninus), et la vision des lourds flocons tombant doucement et en silence sur la campagne bretonne. Bon, pour vous qui seraient passé à côté de l'info, les islandais de Sigur Rós est depuis 1994 l'un des fleurons du Rock Progressif et avant-gardiste mondial. Le trio, devenu quatuor, puis redevenu trio, est surtout connu pour son guitariste qui troque son médiator pour un archet (oui, comme Jimmy Page) et qui utilise une voix en falsetto pour déclamer ses textes en langue Vonlenska, sa création. Jusqu'en 2013, le groupe publie sept albums essentiels, tout en se lançant en 2002 dans le projet Odin's Raven Magic.

Il a été commandé pour le Reykjavík Arts Festival de 2002 et il est une collaboration entre le groupe, Steindór Andersen, Hilmar Örn Hilmarsson et María Huld Markan Sigfúsdóttir, qui signent une œuvre orchestrale interprétée quelques fois, accompagnée d'orchestres différents à chaque fois. Cette dernière voit les artistes tirer leur inspiration d'un poème médiéval islandais, Hrafnagaldur Óðins, composé dans la tradition scaldique et de l'Edda. Avec le succès de groupes comme Týr ou Skáld, ces thématiques liées aux passé viking de la Scandinavie ont pu être galvaudées, mais en 2002, Sigur Rós fait figure de précurseur. À titre d'exemple, Wardruna n'a sorti son premier album que sept ans plus tard. Parmi les représentations données, il y a celle de Londres le 21 avril 2002, de Reykjavík le 24 mai de la même année et de Paris les 28 et 29 septembre 2004. Il s'agit de cette dernière qui est enregistrée et qui donne naissance à Odin's Raven Magic, publié dix-huit ans après sa création originelle, le 4 décembre 2020, précédé à l'automne de trois singles "Dvergmál", "Stendur æva" et "Spár eða spakmál". Les rêves et le fantasmes des fans ont pu prendre corps, les malheureux ne devaient se contenter de quelques miettes et extraits disponibles sur Internet attestant de la réalité de ces spectacles.

Si vous connaissez la discographie des Islandais, vous ne serez pas surpris par ce Odin's Raven Magic, même s'il réserve de belles surprises. Les aventures des deux fidèles corbeaux, Hugin et Munin, se sont pas contées en Vonlenska, mais dans la langue de Björk. Les sonorités des deux idiomes sont très proches, de manière à ce que cette œuvre ne dépareille pas au sein des autres disques du groupe. Les orchestres mais aussi la marimba artisanale de Páll Guðmundsson (dont les lamelles de bois ont été remplacées par des pierres), donnent à l'ensemble un aspect minimaliste et liturgique, austère comme une messe protstante. On y retrouve les légères mélodies délicates qui sont la signature musicale de Sigur Rós, et ce côté cinématographie. J'ai souvent pensé à la bande-originale de La Marche De l'Empereur, composée par Émilie Simon (qui a souvent été comparée à Björk, la boucle est bouclée).

Odin's Raven Magic est un oratorio qui fourmille de détails et qui s'inscrit complètement dans la riche discographie de Sigur Rós. Il met à l'amende, sans réellement le vouloir du fait de son antériorité, bon nombre de formations et de projets qui ne jurent que par Michael Hirst. Écoutez « Dvergmál » et on en reparle.

Xuaterc

le 04/02/2023