Slift - ILION

Chronique CD album (01:19:08)

chronique Slift - ILION

Le défi pour cette chronique ultime réside dans la lutte pour ne pas céder à la tentation d’abuser de superlatifs. Sacré défi, quand les premières mesures de l’album vous font frétiller les tétons et quand la suite, à l’avenant, vous fait lâcher moult interjections vous laissant avec votre stupeur et votre mâchoire décrochée sur votre séant, abasourdi, groggy, terrassé par la maestria qui éclabousse absolument chaque riff, chaque idée, chaque exécution. En clair, au même titre qu’un chef d’oeuvre du cinéma se reconnaît dès ses premiers plans (coucou, le générique d’Apocalypse Now), Ilion s’impose dès son ouverture tonitruante comme une des sorties qui marqueront au fer rouge l’année 2024. On ne prend pas trop de risque en prédisant sa présence dans pléthore de tops de fin d’année.

 

Slift vient de signer chez Sub Pop et compte ainsi, fort de cette nouvelle bombe à fragmentation, conquérir davantage le monde. On pourrait dire que les astres s’alignent à la perfection pour les Toulousains, mais en réalité, ce sont eux qui les déplacent : leur musique jongle allègrement avec les étoiles et plie l’espace et le temps avec une précision acquise sur une autre planète. En d’autres termes, le trio nous sert un rock extra-terrestre qui confine au génie. Entre metal puissant, stoner psychédélique et rock progressif, sans qu’aucune de ces vaines étiquettes ne s’avère suffisante pour embrasser l’étendue des richesses qui se tapissent dans chaque coin de sa musique. Il convient d’écouter dans la foulée les titres 3 (« The words that have never been heard ») et 4 (« Confluence »), le second prolongeant de manière totalement instrumentale le 1e, avec un enchaînement entre les 2 au saxo, d’une fluidité confondante, pour commencer à comprendre la magie qui habite ce brûlot incandescent. En tout, plus de 20 minutes de vertige, avec un groove insensé et une énergie folle. Ecoutez-moi ces lignes de basse monstrueuses, bondissantes et nerveuses, qui relèvent de la démence, tandis que les autres instruments déploient leurs motifs de manière progressive avant d’opérer des embardées sans prévenir. Le tout en gardant un équilibre total et une cohérence naturelle. Le fruit d’un travail d’écriture, d’arrangements et d’interprétation dont on ne peut saisir toute l’étendue en une seule écoute.

 

C’est simple : tout comme les 30 premières minutes de Mad Max : Fury Road, le chef d’oeuvre ultime de George Miller, ne laissaient absolument aucun répit, emportant le spectateur dans un ouragan d’action aussi limpide que dense contenant une idée de génie à chaque plan, réinventant le concept de divertissement, les 4 premiers titres de l’album vous saisissent par le collet et vous entraînent dans une série de tourbillons jubilatoires vous envoyant tutoyer l’infini. Il faut attendre le 5e titre, « Weaver’s weft », pour commencer à reprendre son souffle. L’album bascule alors subtilement vers de nouvelles sphères, poussant les frontières de l’expérimentation, comme profitant de l’élan et de l’énergie cinétique des titres précédents pour voguer calmement vers les confins du cosmos. « Uruk » poursuit cette dynamique planante à grands renforts de soli de guitare fiévreux, de lignes de basse tout en rotondités sensuelles, et d’un chant au charme de serpent. Avant d’exploser dans un déluge d’étincelles.

 

Ce titre représente à merveille l’ensemble de l’album. Celui-ci se construit sur plusieurs couches, tout en glissements. L’espace et le vide ne souffrent d’aucun frottement. Ici, la musique glisse sur elle-même et d’une ambiance à l’autre, quand elle ne les mêlent pas dans un mélange savant de fureur et de langueur. Sans se déprendre d’une rage sourde qui reste en embuscade, la seconde moitié de l’opus élargit l’espace en se montrant plus posée. « The story that has never been told » nous vient d’un autre espace-temps qui projette des images fantasmatiques de messes de sabbat orchestrées dans les limbes. Envoûtant en diable, avec sa ligne de chant qui reprend à l’envi celle qui ouvre l’album. Avant de partir sur des boucles entraînantes invitant à la transe pure et simple au fur et à mesure qu’elles gagnent en dimension épique. Un pont idoine pour le final de l’album, le plus expérimental de l’album, sorte de drone industriel cosmique. Entre-temps, on aura eu droit à une entrée en matière à la fois fracassante et intersidérale faisant tournoyer l’âme au fur et à mesure que le voyage entrepris nous emporte toujours un peu plus dans les méandres aux 1001 détours de l’album. Si l’espace s’avère infini, il en va de même pour le plaisir à chaque nouvelle écoute de ce bijou.  

photo de Moland Fengkov
le 12/02/2024

11 COMMENTAIRES

Pingouins

Pingouins le 12/02/2024 à 10:03:39

C'est vraiment un excellent album, il a déjà tourné pas mal de fois depuis sa sortie, et la chronique lui fait honneur !

Moland

Moland le 12/02/2024 à 10:16:16

Merci d'avoir lu, camarade ! On ne pouvait décemment pas passer à côté de cet album dans nos colonnes. 

Arrache coeur

Arrache coeur le 12/02/2024 à 12:14:19

Diantre, l'enchaînement des 3e et 4e titres colle des frissons. Très chouette chronique qui décrit bien le vertige qui survient à l'écoute, et effectivement, une grosse sortie de l'année. Enorme claque, et très très hâte de découvrir tout ça en concert.

Moland

Moland le 12/02/2024 à 12:21:02

Tavu ! Et j'aime beaucoup comment on glisse des séries de claques administrées en cascades dans la 1e moitié de l'album à quelque chose de plus calme, plus posé, dans la seconde moitié, sans que l'on ne se rende compte du point de bascule.

Xuaterc

Xuaterc le 12/02/2024 à 19:07:03

Très chouette chro. J'avais prévu de l'écouter, mais là tu überappates

Moland

Moland le 12/02/2024 à 22:17:41

Il te faut écouter, au risque de bouleverser l'ordre du cosmos !

Tak

Tak le 13/02/2024 à 07:33:15

Je confirme : excellent album, que je n'ai encore écouté qu'une ou deux paires de fois, mais j'approuve tout ce qui est dit dans cette jolie chro' et je pense également que celui-ci sera l'un des masterpiece de l'année, alors que je n'ai fait que l'"effleurer" jusqu'ici.
Mais rien d'étonnant avec Slift, putain de groupe et leur Ummon avait déjà été un énorme coup de coeur à l'époque de sa sortie et que je continue à écouter sans modération dès que l'humeur s'y prête (c'est à dire, très souvent lol).
Cocorico, ai-je envie de dire ! Et en plus, ce petit dernier est signé sur Sub Pop, la classe totale !
Et je le répète : très jolie chro' Moland, qui me donne d'autant plus envie de plonger à corps perdu dans la découverte de cet album qui s'annonce vraiment démentiel.

Moland

Moland le 13/02/2024 à 09:17:50

Tak merci d'avoir lu. 
En effet, ça fait plaisir de les voir rayonner à l'international. 
Tout comme Red Sun Atacama dont le dernier album "Darwin" est 1 chef d'œuvre du genre. Être programmé au Desertfest Antwerp, c'est la classe.  
De manière générale, la scène française tient bien la route, dans divers genres, du black metal au stoner, en passant par le death metal...

el gep

el gep le 27/04/2024 à 00:35:03

Avec plein de bonne volonté, j'ai essayé, mais j'ai pas réussi. J'y ai même trouvé quelque chose de très tête à claques au niveau musical, beaucoup trop de notes à la basse souvent, beaucoup trop de spatialisation à la guitare et une voix genre saturée-dents-serrées impersonnelle. Niveau formel ça me cause pas trop donc, et niveau émotionnel j'ai l'impression qu'on me tire sur la manche: ça marche pas non plus.
J'y reconnaitrais des qualités au-delà de mon opinion personnelle mais je ne comprends pas trop l'excitation quasi unanime autour de cela...
Pas compris.
Pas grave, on s'en doute.

Moland

Moland le 27/04/2024 à 12:34:03

El Gep c'est intéressant, un avis divergent argumenté, il est vrai que je n'ai croisé que des avis positifs sur cet album. 

HaL0

HaL0 le 31/05/2024 à 01:42:59

Comme El Gep. D'autant plus déçu que j'ai adoré Ummon. Je ne m'attendais pas forcément à quelque chose qui me mandale autant que celui-ci (Ummon) qui avait mis la barre vachement haute, mais quand même forcément: exigence élevée. Et là sur le coup, pas happé par l'ambiance. La "noise moebiusienne" a l'arrabbiata, les compositions évolutives tantôt planant tantôt électrisant et guerrier en mode space-opéra, la complémentarité du trio, bref tous les ingrédients de la recette sliftienne, là ça tombe un peu à plat pour moi. Il y a une forme de linéarité, un aspect convenu et une sorte de "démonstration" à la basse qui crée un déséquilibre d'ensemble. Déception, donc, à la hauteur de l'attente et on ne peut pas pousser l'exigence jusqu'à attendre de Slift un album du niveau du précédent. Le suivant sera lui aussi attendu avec grande impatience!

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