The Urge - Master of Styles
Chronique CD album (42:40)

- Style
Fusion Reggae/Funk Metal - Label(s)
Immortal Records - Date de sortie
21 avril 1998 - Lieu d'enregistrement Sierra Sonic Studios
écouter "Jump Right In"
« T'es bien gentil d'aller déterrer des albums de Funk Metal datant de l'ère précambrienne, mais est-ce vraiment utile ? On connaît déjà tous les groupes qui le méritent : ceux qui ont sombré dans l'oubli, c'est en général pour une bonne raison. En être réduit, récemment, à dégainer un improbable Lucy Brown – qui n'avait pas forcément demandé à sortir de la naphtaline – montre bien que ta petite entreprise musico-archéologique est en train de devenir vaine... »
Permettez-moi de m'inscrire en faux contre ces allégations péremptoires. D'ailleurs Bashung lui-même vous le dirait : ma petite entreprise, 'connaît pas la crise. Et la pépite pépitesque dont on va parler aujourd'hui se chargera d'en offrir une brillante démonstration.
Car à part les vieux briscards, là, dans le fond, qui opinent du chef d'un air entendu parce qu'ils ont été sur tous les fronts de la Fusion dès les 90s, qui donc se rappelle, voire même a entendu parler de The Urge ? Pas grand monde, voilà la vérité. Alors que pourtant, armés d'une collection de tubes comme ceux proposés sur Master of Styles, ces petits gars du Missouri (… mi-homme: Mouseman ne craint que Catwoman. Hum, pardon) mériteraient de jouer dans les tournois Funk Metal de première division, aux côtés des plus grands.
D'ailleurs ce n'est pas moi qui le dis : ce sont les dirigeants d'Immortal Records, « subdivision » d'Epic (disons ça pour simplifier) affichant dans son catalogue Korn et Incubus. En effet, plus que convaincus par Receiving The Gift of Flavor, 4e album du groupe initialement sorti de manière indépendante, ils prendront le groupe sous leur aile pour la sortie de trois albums successifs, et le feront tourner intensément aux côtés de leurs deux autres poulains – qui à l'époque défendaient Life Is Peachy et S.C.I.E.N.C.E., quelle affiche mes aïeux ! Et s'il n'y avait eu les éternels problèmes de divergences musicales et les splits qui en découlèrent logiquement (en 2002, puis une nouvelle fois en 2005), la pâte n'aurait peut-être pas eu le temps de retomber, et le nom du groupe de disparaître du carnet d'adresses de Madame Postérité.
Mais affairons-nous plutôt à donner envie à ceux qui ne le connaîtraient pas encore de découvrir Master of Styles. Alors c'est vrai, on parle ici de Fusion, donc la mixologie fait partie du contrat de base : pour autant le nom de ce cinquième album est particulièrement pertinent, parce que Karl Grable, Steve Ewing et leurs amis sont effectivement des maîtres dans l'art de combiner des styles initialement bien cloisonnés – en l'occurrence le Punk Rock métallisé, le Funk cuivré, le Rap et le Reggae. D'ailleurs j'aurais pu mettre Reggae en tout premier, car à l'instar de Skindred bien plus tard et des Bad Brains avant eux (... dont le groupe reprend ici « Gene Machine »), sur Master of Styles c'est le drapeau jamaïcain que The Urge brandit le plus ostensiblement.
… Ceci sans pour autant occulter ses autres visages.
Car tel un hydre schizopolite (... cosmophrène ?), The Urge possède de multiples personnalités.
Cela pourra éventuellement en gêner certains d'ailleurs, tant on peut avoir l'impression, au fur et à mesure que les pistes défilent, d'écouter une compilation recensant tout ce qui se faisait de meilleur à l'époque plutôt que l'album d'une entité unique.
Parce que si « If I Were You » ouvre la fenêtre sur un ciel bleu rappelant les titres les plus ensoleillés des Bad Brains, c'est ensuite un pur refrain à la Rage Against The Machine qui vient réveiller l'auditeur sur « Straight to Hell », entre deux bouffées de narguilé. Et si le petit matin tropical du tube « Jump Right In » repart sur le terrain des grands refrains lumineux boostés au trombone, « S.L.O.B. » brûle quant à lui de pleines cuves de kérosène sur ce qui ressemble à une géniale collaboration entre Body Count et The Offspring. Et ainsi de suite, le reste de la tracklist retombant il est vrai plus volontiers dans les registres de Living Colour et de la bande à H.R. et Dr. Know.
Alors en effet, on pourrait reprocher à The Urge de papillonner, et de singer d'autres artistes plutôt que de véritablement développer sa propre patte – cela a d'ailleurs peut-être contribué à effacer le nom du groupe des esprits. Pour autant, quand quelques lignes plus haut j'évoquais « une compilation listant tout ce qui se faisait de meilleur à l'époque », il ne s'agissait pas d'une bête formule stéréotypée : car qu'il pioche plus généreusement dans la hargne métallique, dans l'insouciance cuivrée ou dans les flows vigoureusement aboyés, The Urge réussit toujours à tirer le meilleur des ingrédients utilisés. D'où cette impression tenace – lorsque la fin de « Prayer For Rain » nous renvoie à la dure réalité du ciel gris de février ou des piles de repassage non fait – d'avoir écouté un excellent best of. Pas un seul poids mort sur cette collection de 12 titres... pas-un-seul. Pas même les titres les moins entêtants du lot, tels « Going Down », « Identity Crisis » ou « Played Out ». Car Master of Styles est comparables à ces potes qui ont toujours un conseil, toujours une anecdote appropriée, quelle que soit votre humeur. Parmi celles-ci, hormis les quatre titres d'ouverture déjà évoqués plus haut pour illustrer la versatilité stylistique à l’œuvre, on se régalera d'un « Closer » frais et léger à la dominante Feelgood Raggae, ainsi que de son jumeau, « Divide & Conquer », au refrain plus puissamment Metal.
En revanche, même quand cela vise à en faire son éloge, il semble un peu déplacé de réduire ainsi un ami à ses quelques qualités les plus saillantes : il vaut bien mieux l'accepter tel qu'il est, dans son intégralité – ce qui est ici d'autant plus facile que celui-ci semble quasiment sans défaut. Mais le mieux est encore que vous fassiez vous-mêmes sa connaissance : il serait étonnant que vous ne tombiez pas, vous aussi, sous son charme dévastateur.
PS : le groupe est à nouveau actif depuis 2011. Il n'est donc pas interdit d'espérer pouvoir croiser un jour sa route.
La chronique, version courte : sur Master of Styles, The Urge livre un best of personnel de tout ce que la Fusion offrait de mieux au cours de la 2e moitié des 90s. Fort d'un line up comprenant trombone et saxo, parcourant une palette allant du Reggae au Punk Rock en passant par le Rap et le Funk, tirant un solide trait d'union entre The Offspring, les Bad Brains (surtout), Living Colour et Body Count (sur « S.L.O.B. »), ce 5e album est un condensé de soleil, de good vibes et de guitares joliment musclées.
5 COMMENTAIRES
fedaykyn le 16/01/2024 à 13:37:50
Excellent album que je réécoute régulièrement ainsi que son prédécesseur et les deux suivants. Fusion 4 life.
cglaume le 16/01/2024 à 13:53:43
"Receiving The Gift of Flavor" aura sans doute droit à sa chro dominicale lui aussi ;)
Arnaud le 16/01/2024 à 19:58:28
J'écoute "Receiving The Gift of Flavor" sur Deezer. Et c'est vraiment le genre de fusion que j'aime. Groupe dont je suis passé complétement à côté à l'époque. Sans doute parce que j'étais en pleine période reggae. Merci pour cette découverte
cglaume le 16/01/2024 à 20:29:38
❤️❤️
noideaforid le 18/01/2024 à 13:25:03
The urge! Que de souvenirs! Tu as bien raison d'aller déterrer ce genre de pépites. Par contre a l'époque la sensation que j'ai eu en les découvrant est d'être arrivé deux ans trop tard avec cette fusion jouasse. 1998, l'année quand même ou le néo métal était bien en place. En tout cas je n'ai jamais boudé ce groupe.
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