Thou + Emma Ruth Rundle - May Our Chambers Be Full
Chronique CD album (36:11)

- Style
sludge cafardeux / post-metal pluvieux - Label(s)
Sacred bones records - Date de sortie
30 octobre 2020 - écouter via bandcamp
Tout bon groupe de sludge se doit un jour de signer une collaboration de bon aloi avec une grande chanteuse. On a eu droit aux papes inégalés et incontestés du genre, Neurosis, avec Jarboe, la voix féminine des Swans, figure tutélaire de l’indus, une des influences majeures de la bande à Tonton Scott Kelly et ses potes. Cult of Luna, l’un des rejetons les plus populaires de Neurosis s’est prêté à l’exercice avec Julie Christmas, la Circé géniale de Made out of Babies et de Battle of Mice. Le résultat : le chef-d’œuvre « Mariner ». C’est au tour de Thou de s’y coller, avec cette fois Emma Ruth Rundle qu’on retrouve chez Red Sparowes. Et autant l’affirmer de suite : à l’instar de leurs prédécesseurs, les petits gars de Baton Rouge et la miss du Kentucky livrent un des albums les plus forts en émotions de l’année 2020. En à peine 36 minutes et 7 titres, May our chambers be full prend aux tripes et au cœur, en douceur et avec fureur. 36 minutes, c’est court, mais l’album s’avère tellement dense qu’il paraît durer davantage. Et lorsque la dernière note s’éteint, il convient de relancer le lecteur pour un nouveau tourbillon.
D’ordinaire, Thou signe plutôt des EP et sert du sludge dans ce qu’il a de plus épais, de plus lourd, de plus oppressant. Sa musique rampe et se traîne dans la fange pour vous saisir au mollet et vous entraîner dans des abysses de noirceur. De son côté, Emma Ruth Rundle navigue dans un rock éthéré empli d’une sensualité interlope qu’on pourrait croiser dans le Bang Bang Bar de Twin Peaks. On pouvait craindre le pire de l’association des deux univers, avec une alternance chant clair et chant plus rugueux des plus convenus. En réalité, on se rassure rapidement dès l’entame de l’album. En douceur, mais avec fermeté, la miss et le groupe nous prouvent, en superposant les lignes de chant sur « Killing floor » que la recette fonctionne, que l’alchimie se trouve au rendez-vous. La violence des lignes de chant masculines se marient magnifiquement avec la mélancolie de celles de ERR. Il y a comme un rapport de force qui cherche un équilibre tout au long de l'album pour un lâcher prise au dernier titre où la victoire de la voix de ERR sonne comme une victoire éreintée et amère.
Du reste, sa présence insuffle de la mélodie sur les compositions musicales là où d'habitude Thou reste très lourd et gras. Témoin « Out of existence », le 3e titre. Après un « Monolith » presque grunge dans l’esprit (on y entend presque du Smashing Pumpkins dans le chant, et rien d’étonnant ici, quand on sait que Thou a signé récemment des reprises de Nirvana), bien que gardant une ambiance bien lourde, le titre qui lui succède entre dans le vif du sujet : « Out of existence » démarre sans intro, avec ERR prenant l’ascendant sur son homologue masculin Bryan Funck qui reste en retrait, en soutien, avant de se lâcher complètement. La miss s’efface alors, laissant la lave s’écouler pour tout dévaster sur son passage. Quand soudain, cette ritournelle à la guitare élève l’ensemble. On passe alors sans crier gare de la décharge tellurique au tutoiement de l’infini. ERR en profite alors pour reprendre le devant de la scène avec une mélodie d’une mélancolie à vous faire suffoquer de larmes. Les guitares derrière suivent le mouvement et deviennent mélodiques et larmoyantes à leur tour. Avant que le titre reprenne sa démarche pachydermique. C’est brillant, prenant, et frustrant, car trop court.
L’album tout entier fonctionne avec cette dynamique : Bryan Funck et ERR composent une danse hyper sensuelle dans laquelle leurs voix se télescopent, s’effacent tour à tour puis se superposent. Un constant corps-à-corps vocal qui projette ses forces sur le sol pour s’y traîner en sueur avant de s’élever vers le ciel en frissonnant. L’aura d’ERR s’instille dans la musique de Thou qui, tout en gardant son identité et sa lourdeur écorchée, s’autorise des trouées de respirations et des nuances mélodiques rares à ce jour dans son répertoire. Le maelström global de l’ensemble des 6 premiers titres dans lesquels les forces en présence se livrent une lutte pleine de respect mène fatalement et magistralement au tout dernier titre : « The valley ». Lors de la seconde écoute de l’opus, il convient de garder en tête cette majestueuse conclusion quand on parcourt tout ce qui précède. L’énergie, calme ou rageuse, contenue dans les 6 précédents titres, trouve un point d’ancrage sur « The valley » qui constitue le dénouement poignant d’une bataille au goût amer. Si "Cygnus" représente la pièce monumentale qui achève le voyage dans "Mariner", le chef-d'oeuvre signé par Cult of Luna et Julie Christmas, "The Valley" en est son pendant magnifique, un bijou d'émotions retenues, avec force violons discrets et rage pleine de souffrance digne. Chef-d'oeuvre !
2 COMMENTAIRES
pidji le 05/11/2020 à 08:48:16
Yes, cette collaboration est excellente ! Elle me fait + d'effet que celle entre COL et Julie Christmas !
Moland Fengkov le 05/11/2020 à 09:11:57
Arf, en réalité, la comparaison s'arrête rapidement au même type d'exercice pour les 2 groupes, mais je trouve que chez COL, si la musique reste du COL tout craché, mais avec la magie de Christmas, chez Thou, ERR influe sur la musique elle-même. Dans les 2 cas, le résultat est un chef d'oeuvre.
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