Trunks - We Dust
Chronique CD album
- Style
Post-Rock jazzy - Label(s)
L'autre Distribution - Date de sortie
13 octobre 2023 - écouter via bandcamp
« Pretty noise-rock and haïkus from Rennes, France »
Dissimulée dans les Galeries royales Saint-Hubert de Bruxelles, il existe une étroite échappée princière, s’offrant aux curieuses qui souhaitent se sauver de l’amas de touristes jugulant régulièrement cette allée bourgeoise. Dans ce sentier rarement épargné par divers travaux d’aménagement, vous pourrez y trouver une librairie tropicale dans laquelle il me prend souvent de flâner la journée de travail expédiée. C’est à l’intérieur de ce petit édifice enclavé de larges baies vitrées que je me suis procuré l’essentiel de la littérature japonaise qui tapisse les murs de ma chambre, dont « Haïku : Anthologie du poème court japonais » ; l’ouvrage définit cette forme poétique comme un art de l’illusion et de l’ellipse, - un éloge de l’instant révélé. À la lumière de ces mots et du ressenti qui naît à l’écoute de We Dust, la comparaison ne s’avère pas anodine et se révèle loin d’être prétentieuse.
Né en 2003 sur l’impulsion du Jardin Moderne à Rennes, Trunks se présente comme la réunion de musiciennes et musiciens ayant déjà bien roulé leur bosse sur les routes de la scène artistique bretonne. Alors que son existence ne devait être que de courte durée - mais la vie étant ce qu’elle est -, la troupe poursuivit son chemin en lâchant quelques productions aux abords de l’asphalte, dont un dernier album en 2011 (On The Roof) et un split l’année d’après en guise de dernière trace d’huile. C’est donc une décennie plus tard que la formation « pretty noise » s’est pris l’envie de poser pied à terre pour donner suite à sa dernière livrée.
Au jeu des comparaisons avec son prédécesseur, We Dust calme les fulgurances jazz-rock aux accents free qui pouvaient surgir en déflagration sur un titre tel que « Clever white youths », et déploie davantage une atmosphère éthérée, lumineuse ; une ambiance parfaitement capturée par l’illustration chaleureuse qui dessine la musique de cet album. Dès « Les Belles Choses », le riffing joue de sa répétitivité, de ce pattern insidieux et hypnotique – qui doit tant à Sonic Youth –, et distille ce climat serein, apaisant ; mais qui s’inscrit néanmoins dans une tension permanente tout le long de la chanson, grâce aux incursions saxophonistes, aux tourbillons sonores gorgés d’effets, et à cette assise rythmique qui conserve la richesse du jeu déjà déployée au cours de l’effort précédent.
En effet, parcourir les dix compositions qui jalonnent cet album sans s’arrêter ne serait-ce qu’une seule seconde sur la performance de Régis Boulard constituerait un odieux crime tant son travail est impressionnant ; son investissement de l’espace sonore trace les contours d’un cadre libertaire dans lequel les musiciennes et les musiciens ont le loisir de s’étendre en éphémères envolées free (« Norbor » ; « O.B.O. ») ou - au contraire - de s’installer dans une tendre contemplation post-rock (« Memotrunks » ; « What is Fantasy »). Cette symbiose instrumentale et vocale – difficile de ne pas prendre en considération la remarquable performance de Laetitia Sheriff – trouve son aboutissement dans le titre « What Is Real » qui conjugue à la perfection les éléments déjà cités.
A contrario, si défauts il y a, ce serait peut-être dans la mise en retrait d’une agressivité free au profit d’une palette davantage atmosphérique, peignant dorénavant une musique aux couleurs bien plus douces. Je peux aussi mentionner la brièveté des titres, qui n’atteignent jamais les six minutes et s'empêchent de facto le développement d’un climax qui voguerait vers un désordre cathartique final : les notes déversées s’écoulent sans heurts, sans altérations qui se dresseraient le long du courant pour freiner son allure. Pour ainsi dire, il est préférable d’aborder l’écoute de l’album dans un état qui invite à la quiétude, afin d’en profiter dans les meilleures conditions et d'ainsi en saisir toutes les subtilités.
Finalement, c’est sans doute sur cet aspect que la citation à la poésie japonaise prend tout son sens dans la musique de Trunks ; le plaisir ressenti à leur lecture pouvant être résumé par ces mots tirés de l’anthologie évoquée plus tôt : « Le temps d'un souffle, le poème coïncide tout à coup avec notre exacte intimité, provoquant le plus subtil des séismes ». Trunks nous invite à la légèreté, au délicat frisson du souffle ; c'est en tout cas l’impression qui domine tout au long de l’écoute, et c’est très beau.
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