Wayfarer - American Gothic

Chronique CD album (43:50)

chronique Wayfarer - American Gothic

 

« L’Amérique repose tout entière aux confins des grands espaces et, loin d’être mort, notre passé vit toujours en nous. Nos ancêtres portaient la civilisation en eux et l’espace sauvage leur demeurait extérieur. Nous, nous vivons dans la civilisation qu’ils ont édifiée, mais nous gardons les grands espaces au fond de nous-mêmes. Ce que nos ancêtres ont rêvé, nous le vivons, et ce qu’ils ont vécu, nous le rêvons. » (Thomas King Whipple, Study out the land).

Cette épigraphe ouvre Lonesome Dove, de Larry McMurtry, la fresque ultime sur les mythes fondateurs des Etats-Unis, moult fois adaptée à l’écran. Autant de références qui trouveraient aisément leur place en exergue de la nouvelle œuvre de Wayfarer, un des chantres les plus emblématiques du black metal western.

 

Du fin fond de leur Denver, Colorado natal, les 4 cavaliers de l’Apocalypse n’ont de cesse d’explorer l’héritage de leur passé, au fil de leur discographie, de le raconter en musique, en remontant le cours du temps. De la sauvagerie des terres à conquérir de World’s blood aux lignes aussi droites que des chemins de fer de A Romance with violence, 2 albums qui s’écoutent dans leur continuité, se répondent, dialoguent, le groupe a su faire évoluer sa musique au gré de l’Histoire avec un grand H qu’elle raconte, perdant en embardées brutales ce qu’elle gagnait en limpidité mélodique tournée vers le progrès, celui qui permettra à une grande nation d’élever vers le ciel ses grandes et fières tours d’acier et de béton.

 

On pouvait s’attendre à une même dynamique dans l’inexorable évolution avec American Gothic, qui sort 3 ans après A Romance with violence. En vérité, Wayfarer reprend son récit au point où son précédent opus nous avait laissés. Adonc, American Gothic semble sonner, à la première écoute, comme la face B, le frère jumeau de A Romance with violence. Déconcertant au prime abord, voire décevant, tant l’apparente absence de nouveauté dans la cosmogonie du groupe se fait a priori sentir. Pour autant, ce nouveau chapitre révèle ses subtilités au fur et à mesure qu’on en tourne les pages pleines de brûlante poussière. En effet, si la production aussi rutilante qu’une locomotive sortie d’usine rappelle celle de son prédécesseur, si la fureur du chant ne cherche pas à instiller de la brutalité dans les méandres de compos au riffs qui laissent la primauté aux mélodies amènes, l’album n’en demeure pas moins passionnant dans ses partis pris. A savoir, une certaine propension à poser un regard contemplatif sur le chemin parcouru. A l’instar de « The cattle thief », notamment sur sa fin, tout en cristallins arpèges parcourus par un chant clair, très présent sur moult titres, tout l’album semble trotter nonchalamment, avec la sérénité du conquérant qui embrasse l’étendue de son royaume. D’ailleurs, « Reaper on the oilfields » assume complètement cette dominante de l’album : la saturation s’efface derrière la fièvre des glissandos bluesy qui dégoulinent sur la voix claire, traînante et fantomatique.

 

Wayfarer assume complètement sa décision de s’éloigner du black metal brut et furieux de ses débuts pour une musique plus subtile, plus variée dans ses nuances, plus mélodieuse, plus accessible (plus mainstream, diront les esprits chagrins), en puisant dans ses racines qui sentent bon la poussière et le sang qui s’accrochent aux éperons et en digérant ses influences. Sans céder à la facilité, elle s’enrichit à l’envi d’expérimentations et d’audacieuses nouveautés (on notera l’utilisation de claviers discrets, une présence plus prégnante du chant clair et de la libération des arpèges) qui s’intègrent discrètement, donc parfaitement, à l’ensemble. Ainsi, l’album, globalement construit sur un tempo relativement lent, malgré ses quelques embardées, comme pour mieux exprimer son regard désabusé sur le rêve américain, nous offre une belle ballade pleine de mélancolie, « A high plains eulogy », un interlude qui occupe toute la place, « 1934 » et un titre épique qui s’invite sur le territoire de l’americana neurasthénique, « Black plumes over God’s country »In fine, Wayfarer livre un album qui, paradoxalement, semble sans réelle surprise pour quiconque connaît son univers, mais qui, en réalité, au fil des écoutes, livre des trésors cachés qui évoquent le passé avec un langage moderne.

photo de Moland Fengkov
le 24/10/2023

2 COMMENTAIRES

pidji

pidji le 24/10/2023 à 08:29:27

Je ne vais pas dire que je suis déçu pour le moment, mais je n'ai pas la même excitation à l'écoute que le précédent. Comme tu le dis, il n'y a plus de surprise, et c'est dommage.
Mais certains morceaux sont tout de même bien bons ! 

Moland

Moland le 24/10/2023 à 08:34:33

Oui,  la barre était haute. Disons qu'ils freinent un peu l'évolution de leur musique et continuent à explorer ce qu'ils ont déjà fait sur le précédent. Du coup, moins d'effet de surprise, moins de frissons, mais quand même de la qualité. Et mine de rien, y a quelques nouveautés dans la prod, et les compos, avec davantage de chant clair,  du clavier, pas mal de passages en arpèges en mode americana poussiéreux 

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