Yard Act - Where's My Utopia ?

Chronique CD album (43:19)

chronique Yard Act - Where's My Utopia ?

« Dans un bureau perdu au 4e étage d’un immeuble d’Arts-Lois, Bruxelles :

 

- Mon cher Bertrand, je suis content de vous voir : j’ai trouvé LE produit qui collera une énorme pêche à toute l’équipe et, qui plus est, augmentera drastiquement la productivité de ces neurasthéniques !

- Hâte d’entendre ce que vous avez à proposer, Monsieur. Attendez… mais ce ne serait pas le nouvel album de Yard Act que vous écoutez ?

- Vous avez l’oreille fine mon petit Bertrand. Mélomane, je présume ? Bref, je remercie l’algorithme Spotify pour cette découverte. Ça donne du peps, moi je vous le dis ! 

- Je vous crois volontiers, leur premier album tenait déjà la dragée haute il y a 2 ans. Néanmoins, quelle est cette fameuse stratégie productiviste miracle ?

- Eh bien elle est devant vous, mon brave. Vous n’êtes pas sans savoir que le conseil d’administration m’a imposé le recrutement d’un Chief Hapinness Officer en réaction aux multiples burn out en cascade. Cependant, ils sont bien gentils là-haut, mais j’ai autre chose à faire que passer des entretiens pour un béni oui-oui qui taillera la route à la fin de sa période d’essai. Par ailleurs, je ne vois toujours pas l’intérêt de cette embauche étant donné qu’on a déjà une table de ping-pong à l’étage. Donc l’idée est simple : on installe des haut-parleurs dans tout l’étage et on fait péter les watts. « Dream Job » pour tout le monde à 8 heures tapantes ! Si les employés ne cessent pas d’alimenter leur historique de recherche google avec les mots-clés « dépression » et « prescription », je ne réponds plus de rien.

- Non pas que je sois réfractaire à l’idée, mais avez-vous pris connaissance des paroles ? Celles-ci sont quand même assez particulières et…

- … Et les gens ne font pas attention à ça. Comme moi. Qu’importe ce que ces hurluberlus racontent, le but est d’improve l’ambiance de travail. Vous avez vu le contenu des poubelles ? Elles sont remplies de plaquettes vides de Xanax. Nous gérons des dossiers, pas une pharmacie que diable ! 

- Je partage votre constat Monsieur. Mais cette pochette… Ça ne vous chiffonne pas légèrement ? 

- Quelle pochette ? Vous êtes bien comique, Bertrand, mais mettez-vous à jour : plus personne ne prête attention à cette fantaisie. Bon, installez-moi tout ça. Dès que les premières notes de « We Make Hits » sonneront dans l’étage, vous me féliciterez pour cette initiative ! »

 

[…]

 

En 2022, Yard Act fut propulsé sous le feu des projecteurs grâce à un premier album salué par la critique, atteignant même la deuxième place des charts britannique. The Overload fut une puissante bouffée d’air frais : un post-punk mené tambour battant par une énergie funk et hip-hop, et qui se faisait le recueil dansant de textes cyniques et corrosifs écrits à l’encre acide. Un style immédiatement identifiable à la première écoute, qui installa la formation de Leeds parmi les grosses sensations du moment. 

 

Produit par le groupe en collaboration avec Remi Kabaka Jr. (Gorillaz) – déjà aux manettes du Effigy de Talk Show –, la pochette complètement allumée et l’ironie du titre de ce deuxième LP nous rassure instantanément sur la nature du brûlot et la plume toujours incisive du chanteur James Smith, prompt à flinguer avec finesse un monde aliéné par le sacro-saint néo-libéralisme.

 

Néanmoins, Yard Act surprend son monde en assumant totalement une transition vers la musique disco et dance, notamment sur les géniaux « We Make Hits », « Dream Job », When the Laughter Stops » et « Grifter’s Grief » : lignes de basse au son exquis, percussions variées et refrains entêtants qui remueront le boule des ravagé·es du jeudredi. La recette parfaite pour surmonter le télétravail du lendemain et sombrer devant les tables Excel infinies.

 

Yard Act explose sa musique dans un fracas d’influences piochées dans le disco, le funk et le hip-hop (« Down by the Stream » à l’inspiration Cypress Hill délicieuse) ; au point de s’interroger légitimement sur sa catégorisation musicale post-punk. Alors que, paradoxalement, c’est à travers cette attitude que le groupe s’inscrit en plein dans la philosophie qui animait le genre à ses débuts. Bref, j’imagine que les gars de Leeds s’en moquent bien, et l’on ressort désorienté à l’écoute de ce cadavre exquis qui renferme toute l’absurdité d’un monde qui n’aura jamais autant accéléré, au point de s'annihiler par sa vitesse. 

 

En conclusion, voici pour vous la plus belle phrase à sortir lors de votre prochain afterwork sur le dernier rooftop branché de la capitale :  Where’s My Utopia ? atomise son post-punk dans un anarchisme disco-funk post-Graeberien. Voilà, voilà, une belle opportunité de flexer avec éloquence et arrogance auprès de jeunes cadres dynamiques en dégustant une rafraichissante IPA.

 

Et si jamais ça ne fonctionne pas, comme dans le final de « We Make Hits », dégainez l’ironie. Car là est tout le génie de Yard Act : ce grand écart entre une musique qui nous invite à une fête sans lendemain et des paroles sardoniques qui nous ramènent à un quotidien désenchanté.

 

[…]

 

« Un mois plus tard, dans ce même bureau perdu, 4e étage d’un immeuble d’Arts-Loi, Bruxelles :

 

- …

- Il faut voir le positif : aucun burn out n’est à déplorer depuis la mise en place de votre idée !

- Oh merde, Bertrand ! Il s’agit de la septième démission. Tout le service est sur le fil. Vous me direz bien ce qu’il leur prend à tous !

- Je crois qu’on a sous-estimé leur compréhension de l’anglais.

- Je n’ai plus le choix, si je n’embauche pas leur Chief Hapinness Officer, le CA ne va pas me louper. Pouvez-vous rédiger et publier l’offre d’emploi, Bertrand ? Finalement, peut-être qu’un baby-foot ne serait pas de trop à côté de la machine à café. »

photo de Arrache coeur
le 20/04/2024

14 COMMENTAIRES

cglaume

cglaume le 20/04/2024 à 11:45:34

Tu as gagné : je vais m’arranger pour écouter ça ce week-end !! 🙂

cglaume

cglaume le 20/04/2024 à 13:26:14

Je crois que je ne comprendrai jamais vraiment ce qui caractérise la musique méritant l’appellation Post-Punk. En tous cas c’est sympa, mais trop peu focalisé, trop « brumeux » pour moi. Je note quand même quelques points de ressemblance avec That Handsome Devil (j’en suis à « The Undertow » au moment de ce commentaire)

cglaume

cglaume le 20/04/2024 à 13:29:50

(le Post-Punk c’est du Rock expérimental vaguement vénère, avec un pochetron derrière le micro, c’est ça ? 😁)

el gep

el gep le 20/04/2024 à 14:10:14

Non, a c'est qu'ils appellent el Noise Rock, Glaume.

Le Post-Punk, c'est rien du tout, ça m'a toujours fait rire.

el gep

el gep le 20/04/2024 à 14:11:32

T'as du Rock, du Punk, de la No Wave et de la New Wave dans le Post-Punk, c'est génial j'te dis.

cglaume

cglaume le 20/04/2024 à 15:11:25

Bref ça m’aide pas haha. J’utiliserai jamais cette étiquette, c’est sûr 😅

Moland

Moland le 20/04/2024 à 15:26:52

"Les meilleures étiquettes sont celles que tu colles toi même" (Paulo Coelho)

Arrache coeur

Arrache coeur le 21/04/2024 à 11:39:00

@cglaume : Alors tout d’abord, merci beaucoup d’avoir tenté l’écoute, ça me fait beaucoup plaisir ! :) Ensuite, en ce concerne une définition du post-punk, comme le souligne el gep, il s’agit d’une dénomination bordélique qui traduit davantage une époque et une pulsion qu’un style aux caractéristiques musicales stables.


Historiquement, le post-punk désigne toutes les formations qui émergèrent juste après 1977 et qui empruntèrent une voie différente que la Oi! et le hardcore. En effet, ces courant avaient une définition du punk totalement différente : si la Oi! Et le hardcore affirmaient que la musique devaient rester une musique de la rue et sans prétention, le post-punk envisageait l’année 1977 comme une magnifique occasion de rompre avec la tradition rock n roll et de définir le punk comme une exigence de constant renouvellement. Par conséquent, le post-punk cherchait à terminer la révolution entamée par le punk en explorant des univers éloignées de la musique rock comme l’électronique, les techniques dub, le disco, le jazz et la musique contemporaine. Bref, c’est la période de Public Image Limited, Joy Division, Talking Heads, Throbbing Gristles et les Contorsions, histoire d’englober tous l’horizon musical que recouvre la période post-punk.

Je fais extrêmement court, mais pour celles et ceux qui souhaitent plonger dans le post-punk, je ne peux conseiller la lecture de « Rip it Up and Start Again » de Simon Reynolds qui analyse toute cette période s’’étalant de 1978 à 1984.
Les groupes « actuels » que je qualifie de post-punk sont donc des formations qui adoptent certains traits musicaux de cette époque ou perpétuent cette volonté de renouveler la musique punk par l’exploration d’autres paysages musicaux (Yard Act et le funk / hip hop, Talk Show et le trip hop,…).

Voili, voilou ! 


cglaume

cglaume le 21/04/2024 à 12:37:04

Merci pour le cours magistral !
Bref: je ne suis pas près d’utiliser cette étiquette 😅😅

Moland

Moland le 21/04/2024 à 12:40:37

Je connais un gars qui démontre de façon pertinente que les 80's commencent en 78. A coups d'analyses d'albums de 78, justement. 
En revanche, j'aurais pas associé Throbbing Gristle au post punk, ce sont les chantres de la musique expérimentale industrielle et d'ailleurs on leur l'étiquette de musique industrielle ("industrial music for industrial people"), mais à bien y réfléchir, c'est pas déconnant de parler de post punk pour leur travaux des 80's, ainsi que pour ceux de Psychic TV, par exemple. 

Arrache coeur

Arrache coeur le 22/04/2024 à 13:22:10

Effectivement, je me doutais que ça te ferait réagir haha. Cependant, Throbbing Gristle reste malgré tout inspiré par le psychédélisme des 60's et l'agressivité sonore des Velvet. On retrouve cette recherche d'une nouvelle sonorité et cette volonté de rompre avec la tradition, d'autant plus qu'historiquement, la bande de P-Orridge s'inscrit dans l'actualité punk en Grande-Bretagne (le vernissage de l'expo Prostitution qui traumatisera les médias anglais au même moment que le passage des Pistols). Une actualité musicale que Throbbing Gristle commentera, car la formation n'était pas très convaincu par la "radicalité" du punk, trop encré dans une approche traditionnelle de la musique rock. Bref, c'est dans la philosophie exprimée et la période concernée que le groupe est rattaché au mouvement "post-punk" (et que de nombreuses formations post-punk de l'époque se sont inspirées de leurs expérimentations sonores).

Mais tu as raison, il est évidemment question d'indus musicalement. 

Sinon pour les 80's qui démarrent en 78, effectivement haha, on peut considérer la date comme le début d'un intense bouillonnement artistique dans la musique populaire.

Moland

Moland le 22/04/2024 à 14:13:00

Haha tu maîtrises bien to sujet. J'avoue que je te titillais mais tes précisions s'avèrent pertinentes. Je suis en train de lire l'auto bio de Cosey Fanni Tutti, "Art sexe musique",  c'est passionnant. Et oui, l'émergence de COUM s'inscrit dans une démarche punk et une certaine dynamique contemporaine. 

Arrache coeur

Arrache coeur le 22/04/2024 à 19:24:03

Yes, il est sur ma liste ce bouquin ! 😁 
Mais oui, la dynamique contemporaine est assez fascinante, notamment l'énorme influence que va avoir le mouvement Fluxus sur la scène musicale de cette décennie. Toujours un plaisir de plonger dans les récits de cette époque.

Moland

Moland le 23/04/2024 à 05:35:16

Je recommande aussi le livre de Nicolas Ballet :  "SHOCK FACTORY - culture visuelle des musiques industrielles 1969-1995" 

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