Gorod - Interview du 24/08/2015
Membre(s) interviewé(s) : Mathieu Pascal
Dans la suite logique de Transcendence et des morceaux « Carved In The Wind » et « Varangian Paradise », sur le nouvel album la musique de Gorod continue doucement mais sûrement à s'ouvrir à de plus en plus d’expérimentations qui enrichissent et aèrent son propos. C’est notamment sensible au niveau de l’intro quelque peu décalée « Air de l'Ordre », et encore plus sur les excellents « From Passion To Holiness » et « Rejoice Your Soul ». D’ailleurs, à propos de ce dernier : je pensais initialement que ce que l’on y entend au bout d’une minute était de l’harmonium, voire de l’orgue de Barbarie… Mais ne serait-ce pas plutôt ce piano Rhodes dont il était question lors d’une interview précédente ?
C'est effectivement de l'orgue sur « Rejoice your Soul » : j'ai eu le sentiment que c'était inévitable sur cette partie ! A l'origine, on avait abordé ce morceau dans l'optique de faire une reprise du « I put a spell on you » de Screaming Jay Hawkins – ce qui peut encore s'entendre sur le début et la fin du titre. Julien avait proposé cette idée alors que l'on imaginait encore sortir un EP entre les 2 derniers albums – EP que l'on n'a finalement jamais eu le temps de réaliser. Comme tu le sais, j'aime bien les sonorités des années 70, et je profite de chaque occasion pertinente, comme sur ce titre, pour en placer ! D'ailleurs je me suis justement fait faire une guitare avec un capteur midi intégré pour pouvoir tester et jouer d'autres instruments de cette époque (... enfin, des simulations, évidemment), et pourquoi pas explorer les synthés et autres sons plus modernes... Expérimenter quoi ! Dans cet esprit, pour m'amuser, j'ai essayé de reprendre un morceau d'Al di Meola de 77, « Egyptian Danza », en rejouant les guitares mais aussi les claviers – le fameux couple Rhodes/Hammond... Mais c'est assez compliqué d'imiter le jeu d'un claviériste avec une guitare si l'on veut que ça sonne un minimum réaliste. Je n'ai pas encore cette fameuse guitare, donc je n'ai pas pu expérimenter ça à fond sur l'album, même si en effet il y a quelques arrangements qui sont plus écrits ou programmés que vraiment joués. Plus globalement, c'est clair qu'on cherchera toujours à évoluer, à expérimenter, à ne jamais se répéter, à rester surprenants et imprévisibles: c'est essentiel pour nous. Parce que c'est ça qui nous fait tenir, et nous stimule en tant que musiciens. Ça n'aurait pas de sens de rester dans un carcan où rien n'est permis, où l'on devrait juste se contenter de faire la même musique que les autres.
Pourquoi ce traitement particulier de l’intro qui – c’est une première ! – bénéficie d’un titre en français ? C’est un pas supplémentaire sur la voie du « J’assume de plus en plus ce que je suis et ce que j’aime » ?
Alors c'est normal que le titre soit en français: ce morceau a été écrit par Erik Satie, compositeur pour piano bien de chez nous à qui l'on doit les célèbres Gymnopédies et Gnosiennes. Il faut savoir que cet homme brillant a été un temps un disciple de l'Ordre des Rose-Croix, la secte dont l'album parle principalement. Il a composé pour eux trois « Sonneries » – des sortes d'hymnes – à des fins de culte. L'« Air de l'ordre » est la première d'entre elles. On reconnaît bien le style décalé et joyeusement glauque du compositeur: la partition originale est bourrée d'indications saugrenues du genre « avec étonnement » ou « plus intimement » ! Quand Julien a découvert cette relation entre Satie et les Rose-Croix, j'ai tout de suite cherché à intégrer ces "sonneries" dans la trame de l'album. L'introduction est la partition jouée telle quelle, tandis que le morceau suivant, « Temple to the Art-God », est plus ou moins calqué sur la même progression harmonique. Le dernier titre, « Syncretic Delirium », est quant à lui un dialogue entre Péladan (le gourou) et Erik Satie, quand celui-ci – n'ayant jamais été dupe de l'arnaque de la secte – la quitte définitivement en raillant sa doctrine. Pour répondre un peu mieux à ta question, ce qu'on a essayé d'assumer c'est l'idée de faire du tout Français, voire du tout Bordelais – artwork, production... – parce que c'est notre culture, évidemment, mais aussi parce que – dans le domaine artistique tout particulièrement – c'est diablement plus pratique de travailler et de collaborer avec des intervenants parlant la même langue, et si possible de visu. La seule exception reste le chant: à ce niveau-là, ça n'arrivera jamais. Pas que l'on ait honte de notre langue, mais je pense que pour le coup ce n'est pas dans notre culture musicale, tout simplement. Le Rock ou le Metal en français, personne n'aime ça dans le groupe; on ne voit pas l'intérêt d'en mettre si, à la base, ça ne nous plait pas en premier lieu à nous. Il faudrait vraiment qu'il y ait une expression ou une émotion intraduisible en anglais, ou une citation, ce genre de choses... Et dans ce cas on le sous-mixerait, on y mettrait beaucoup de reverb...
Il paraîtrait qu’avant de décider d’intégrer la mélodie d’« Amicalement Vôtre » au sein de « From Passion To Holiness », il y a eu plusieurs autres tentatives. Peut-on savoir ce qui aurait pu finir sur ce titre à la place ? D’autres thèmes célèbres ?
Ah non : par autres tentatives je voulais plutôt parler, par exemple, du petit bout de « Captain Senor Mouse » de Chick Corea sur « Sailing into the Earth », ou du « Blue Rondo à la Turk » de Dave Brubeck à la fin de « Transcendance ». Ça me fait toujours marrer de faire de discrets clins d'œil à des musiques qui sont depuis toujours dans ma tête. La plupart du temps, quand je réalise que je peux chanter un thème ou que tel riff ressemble à quelque chose que je connais et que j'aime, j'y vais carrément et j'essaye de faire en sorte que ça s'entende – tout en préservant la touche Gorod. En tous cas j'assume pleinement ces emprunts, et j'espère sincèrement ne pas faire n'importe quoi avec la musique des autres. Au niveau de la démarche, il s'agit avant tout d'un hommage, pas d'une récupération ou d'une bête copie. D'ailleurs sur A Maze..., à part ce thème de « Persuaders », tu pourras également entendre la fin de « Tornado of Souls » de Megadeth sur « Dig into Yourself », ahah ! Voilà, c'est vraiment pour rire, rien de bien sérieux: je ne suis pas fan de Roger Moore de toutes façons ! A une époque on terminait nos concerts sur la fin de « The Call of Ctulhu ». On a également emprunté le final d'« Invaders » d'Iron Maiden : c'était fun d'entendre d'un côté râler les facheux puristes, et de l'autre rire les gens qui captaient ces clins d'œil !
Mathieu, en proposant ces 2 approches distinctes de « An Order To Reclaim », tu t’es offert l’un de ces petits plaisirs qui sont habituellement refusés aux compositeurs : ne pas avoir à trancher, ne pas faire le douloureux choix d’un chemin plutôt que l’autre. Tu tenais énormément aux 2 versions de ce titre ? Personnellement, je préfère le démarrage fiévreusement funky de la version en piste 6… Mais c’est le final bluesy de la piste 11 qui me parle le plus. Comment comptes-tu gérer ce grand écart en concert ?
Je ne pense pas qu'on jouera ces morceaux en concert, du moins pas tout de suite. On a cinq albums déjà, et ça devient difficile d'inclure des extraits de chacun sur un set de seulement une heure... D'autant qu'on a décidé de jouer « Transcendance », qui dure 15 minutes à lui tout seul, dès les prochaines dates... On a pour l'instant retenu quatre titres de A Maze, qu'on travaille en ce moment pour le tout nouveau set, et malheureusement « An Order To Reclaim » n'en fait pas partie... En fait, la deuxième version a juste été bricolée à partir des pré-prod batterie de la première. C'est quand tout l'album a été terminé – mastering, artwork etc – qu'on m'a demandé de rajouter deux morceaux bonus, l'un étant destiné à l'édition européenne et l'autre à l'américaine. J'ai eu un week-end pour gérer ça, sachant qu'on n'avait pas d'autre morceau original en rab', ni de live ou de maquette/démo potable. J'ai alors eu l'idée de ré-enregistrer d'autres grattes par dessus les pistes de batterie déjà enregistrées les plus sympas. Ça m'a pris tout le week-end, nuits incluses, mais c'était très intéressant à faire. D'habitude ce sont les riffs de guitare qui engendrent le groove de la batterie, alors que là je me suis servi de prises batterie existantes pour coller de la guitare par dessus... C'est carrément un autre travail ! Du coup, c'est drôle à quel point on entend beaucoup plus la batterie: elle est beaucoup plus mise en valeur. J'ai pu me permettre de la laisser naturelle, sans la re-sampler, parce que les riffs s'accrochaient aux nuances de frappe, et donc c'était primordial qu'on les entende. D'ailleurs il faut absolument qu'on renouvelle l'expérience avec Karol, surtout qu'il a tout ce qu'il faut pour s'enregistrer lui-même. A la base la partie qui termine l'album – le groove avec le long solo – a été conçue de la même manière : j'ai demandé une partie à Karol en lui imposant quelques contraintes, et j'ai ensuite brodé les guitares autour. J'adore cet exercice ! Oui, du coup tu as compris : sur l'édition US de l'album, il y a un autre détournement de morceau créé à partir des parties de batterie de « Celestial Nature », ré-enregistrées cette fois façon Cacophony, avec des turbo-mélodies !
Il semble que Julien a encore un petit peu plus enrichi le spectre de ses interventions vocales. Parallèlement à cela, on dirait qu’il a travaillé les vocaux extrêmes, qui sont plus convainquants encore. Est-ce en partie pour faire taire les aigris qui restent fans de ce que Guillaume proposait par le passé ?
Oui, on a passé pas mal de temps en studio à trouver les bonnes combinaisons, spécialement pour les voix graves, parce qu'on savait que c'était un peu le point faible sur l'album précédent, et pas forcément la spécialité de Julien. Paradoxalement, ce genre de voix ne lui pose aucun problème sur scène; c'est vraiment le fait de repenser sa manière de faire la prise – et peut-être, de mon côté, de la mixer – qui a fait la différence cette fois. On a aussi misé sur une plus forte théâtralisation du chant, pour mieux coller à l'histoire et rendre la musique plus cohérente avec ce qu'elle raconte... Mettre le texte en valeur en somme.
Pour la 3e fois de suite (si je ne me trompe pas, après « Hidden Genocide » et « Neuronal Disorder State »), sur « Rejoice Your Soul » on trouve de ces passages dont le groove « Snap your finger » est très proche de celui d’un groupe avec lequel vous avez partagé la scène l’année dernière : Trepalium. As-tu écouté leur dernier EP à la composante Swing « New Orleans » très marquée ? Si oui, est-ce que ce type de mélange te parle ?
Carrément oui ! J'adore leur dernier EP: c'est du grand Trepalium! Ce sont les patrons de ce genre de groove, et je suis très heureux qu'ils aient renoué avec, après l'avoir un peu délaissé sur HNP. Personnellement, j'aime bien en mettre de temps en temps, mais à petites doses... C'est très compliqué à jouer je trouve, ça demande une exécution rigoureuse à tous les postes. Les Trepalium y arrivent sans effort on dirait: ça à l'air tellement naturel pour eux !
N’ayant pas l’album dans sa version physique, je n’ai pas pu vérifier si, cette fois encore, vous avez des invités sur certains titres… Est-ce le cas ? Il me semble parfois entendre des vocaux autres que ceux de Julien…
Le seul invité qu'on trouve sur cet album est Denis Cornardeau, qui fait le solo sur la fin de « Syncretic Delirium ». C'est un ami à nous, qui nous a suivis sur une petite tournée en 2010. Le meilleur guitariste de Bordeaux selon moi : ce gars vous met la chair de poule dès qu'il pose sa première note, c'est fou... Il joue dans pas mal de groupes par ici – pas Metal hein, c'est un pro lui ! Sinon, au niveau des voix, il n'y a que Julien. Pas de guest derrière le micro sur cet album, même pas une intervention de Guillaume : on n'a pas eu le temps de gérer ça. Car oui, la plupart du temps si on invite du monde, on doit faire de la place pour eux, ce qui implique de restructurer les morceaux ou de supprimer des parties où il y aurait eu du chant pour y mettre un guest solo, ou l'inverse... Et là on n'avait ni l'envie ni le temps de le faire. Sauf pour Denis pour qui c'était prévu dès le départ.
Mathieu, tu n’échapperas pas à l'habituelle question « marronnier » : où en est ce projet d’album proposant des versions réarrangées et décalées de "classiques", sur lequel des hymnes Metal seraient revus à la sauce « grand public » tandis que, à l’inverse, de grands tubes populaires se feraient méchamment métalliser ? Toujours pas eu de temps à lui consacrer ?
J'y travaille toujours à mes heures perdues, mais ça n'avance pas vite. Pour bien faire j'ai l'impression qu'il me faudrait prendre un congé sabbatique d'un an pour en venir à bout. Mais je pense que, d'une manière ou d'une autre, on en sortira quelques morceaux. La reprise de Screaming Jay Hawkins déjà, vu qu'elle est quasiment prête. Comme je le disais tout à l'heure, vu que j'ai beaucoup aimé l'exercice consistant à refaire des guitares sur des batteries déjà enregistrées, je crois que je vais essayer de renouveler l'expérience, et je mettrai le résultat en écoute au fur et à mesure que ça se fera, comme ça, juste pour le fun. Il y a aussi le boss de Listenable qui me tanne pour que j'écrive des morceaux dans le style Cacophony, ce qui est très tentant également. Mais je ne sais pas ce que j'aurai effectivement le temps de faire, avec mon job et tout le reste...
Peut-on savoir si des albums nouveaux ou anciens t'ont collé une baffe récemment ?
Alors je ne sais pas si je l'ai déjà mentionné, mais l'an dernier j'ai découvert un groupe allemand, PanzerBallet, qui m'a laissé sur le cul. Ils jouent un genre de Fusion Jazz-Funk Metal super bien foutu, et font preuve d'une imagination débordante ! J'écoute leur discographie en boucle dans ma voiture, et depuis tout ce temps je n'ai pas encore réussi à m'en lasser ! Le dernier Psychroptic est excellent lui aussi: j'ai enfin pu les voir en live au Motocultor cette année : c'était impeccable. Bien sûr j'ai eu la chance d'avoir en avant-première le nouveau Kronos : une grosse tuerie, ça fait plaisir de les voir de retour en aussi grande forme ! On fera surement quelques dates avec eux d'ailleurs d'ici la fin de l'année.
Question stupide – et donc indispensable – pour finir : c’est le 4e album de suite (je ne compte pas Transcendence, sinon ça fout toute ma théorie en l’air !) sur lequel figure un titre contenant le mot « God ». Du coup ce gimmick est en train de devenir aussi constitutif de la marque de fabrique Gorod que l’est la suite alphabétique selon laquelle Morbid Angel nomme ses albums. A quand l’exploitation jusqu’au-boutiste du concept en proposant, parmi le marchandising du groupe, un « god » en or G[or]od ? Voire une poupée « Veau d’or » Barby ?
Ahah ! Je pense qu'au début ce n'était pas voulu. En tous cas sur les 3 premiers albums, c'était plus du hasard. Mais j'avoue qu'après, pour « The Axe of God » et « Temple of the Art God » par exemple, on l'a fait exprès. C'est un peu une private joke entre vous et nous, il fallait absolument qu'il y ait un titre en GOD sur les 2 derniers albums pour nous porter chance ! Figure toi qu'on a déjà fait un t-shirt unique « Grogod » pour l'anniversaire de Julien, il y a quelques années, en détournant le logo. Je ne sais pas trop si ça ferait recette... En tous cas si jamais un cover band de Gorod venait à exister, je leur accorde volontiers les droits d'exploitation de ce nom, pas de soucis !
Plus qu'à attendre que des Gronibar du XXIe siècle nous proposent une version Porn-Grind débilos de A Maze of Recycled Creeds donc...
3 COMMENTAIRES
Niktareum le 15/10/2015 à 18:46:37
Mazette ! "Tornado of souls" à la fin de "Dig into yourself" ? J'ai pas du tout capté !
Chouette interview mon lapinou.
cglaume le 15/10/2015 à 19:28:45
Merci Nikta ! Moi non plus j'avais pas capté pour Tornado... Et sinon le début de l'interview, c'est là: http://www.hardrockmag.fr/PDF/ ;)
Crom-Cruach le 16/10/2015 à 19:56:14
PUUUUUBBB pub pub PuB, bon pour un "produit" plus en vente... donc ça passe. :)
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